(2007, réalisé par Baillie Walsh)
Lord don’t slow me down retrace la monumentale tournée mondiale d’Oasis à la suite de la sortie de son sixième album studio, Don’t Believe The Truth, de mai 2005 à mars 2006.
Porté par des compositions qui figurent parmi les toutes meilleures du groupe (« The importance of being idle », « Let there be love »), le disque connaît un immense succès, atteignant le sommet des charts dès la première semaine au Royaume-Uni et des chiffres de ventes aux Etats-Unis comparables à ceux de Be Here Now huit ans auparavant. Porté par cette dynamique, que les frangins Gallagher se refusent à considérer comme un retour au premier plan, Oasis se produit dans 26 pays et enchaîne 113 concerts en dix mois devant plus de trois millions de fans. Le documentaire suit le périple de la bande de lads à travers le monde (Italie, Etats-Unis, Australie, Japon), accordant une large place à quelques dates marquantes de la tournée, notamment le show donné par le groupe au Madison Square Garden ou le concert triomphal de Manchester.
Somme toute assez classique dans la forme, le film alterne extraits de concerts, interviews savoureuses de Liam et Noel et scènes de vie collective backstage. Jouant de la présence permanente de la caméra, Liam s’en donne à cœur joie et joue à fond son propre personnage de rock star planétaire. Qu’ il fasse le barbot devant les filles de Girls Aloud, balance sur Franz Ferdinand et Bloc Party au téléphone, se gave d’huîtres à Sydney ou crache sa bile sur Tom Cruise et Michael Owen, le lad ultime est en représentation permanente et exhibe une impressionnante collection de lunettes noires et d’aberrants couvre-chefs. Le tableau ne serait pas complet s’il ne lançait çà et là quelque trait d’esprit dont il a le secret et, là encore, on en a pour son argent lorsqu’il se fend de précieux conseils (« Always wear four condoms, one on your head and three down there ») ou affirme que sa mère vend des T-shirts du groupe à la sortie du stade à Manchester. A ranger dans la catégorie wit and wisdom.
Certes moins cabot que son phénomène de frère, Noel n’est guère avare de bons mots et s’avère souvent brillant lors de ses face-à-face avec la presse, mais on sent que le gigantisme et le caractère épuisant de la tournée lui pèsent. Même en coulisses, le contraste entre Liam le frontman, ravi d’être le centre de toutes les attentions, et Noel le songwriter, qui ressent souvent le besoin de s’isoler avec sa guitare, est saisissant. L’un surenchérit sans cesse et n’interrompt la pose qu’en compagnie de sa garde rapprochée, qui connaît son Liam sur le bout des doigts. L’autre avoue son usure et sa lassitude, son envie profonde de se poser pour écrire, et son regard se perd parfois au loin. A eux deux, ils forment un binôme à la fois électrique et complémentaire, qui relègue dans l’ombre les autres membres du groupe. L’histoire d’Oasis est celle d’un association unique et fragile, féconde et destructrice, naturelle et complexe. Même si la combinaison des deux personnalités a donné naissance à une véritable success story et donné aux frères Gallagher une place de choix parmi les grands tandems de l’histoire du rock, chacun doit supporter comme une malédiction l’idée de ne pouvoir exister sans l’autre, et ce jusque dans les questions des journalistes.
Lorsqu’on connaît la fin de l’histoire, on ne peut s’empêcher de guetter les moments de tension entre les deux frères et d’interpréter la moindre altercation comme un signe avant-coureur de l’inéluctable rupture. Naturellement présente à l’esprit, la séparation du groupe fait planer sur le film un parfum de nostalgie, et la tournée apparaît comme l’un des derniers épisodes d’une aventure musicale aussi riche que sinusoïdale. La classe et l’intensité du groupe sur scène, sa puissance sonore et sa capacité à galvaniser les foules ne peuvent que faire amèrement regretter la disparition d’Oasis. Restent la qualité des chansons et l’empreinte indélébile que la formation mancunienne a laissé dans l’imaginaire collectif, portant sa lad attitude et ses entêtant refrains à des sommets de popularité. Les frères Gallagher ont crée des vocations à la pelle et donné envie à un paquet de gamins d’acheter une guitare. Plus d’un adolescent s’est pris pour Liam devant le miroir de la salle de bains, et on attend encore le prochain groupe pour qui des fans japonais brandiront des écharpes de Manchester City.