(Big Brother 2008)
Dans une interview donnée à Mojo, le toujours excellent Noel Gallagher a révélé avoir découvert il y a peu SF Sorrow des Pretty Things par l’entremise de Serge Pizzorno de Kasabian. Il citait alors “Baron Saturday” parmi les morceaux qui l’avaient le plus marqué et promettait un album psychédélique basé sur le groove. Si une telle méconnaissance des sixties anglaises nous a étonnés de la part de l’ainé des Gallagher, cette annonce d’un retour à des sonorités psychédéliques nous a réellement surpris. La dernière fois qu’Oasis a tenté une incursion dans le genre, l’album en résultant, Standing On The Shoulders Of Giants, a sérieusement entamé la popularité et la crédibilité du groupe. Il a fallu deux albums épurés pour qu’Oasis convainque à nouveau sur disque et regagne l’intérêt du grand public. Oasis psychédélique ? Le groupe prendrait il des risques à nouveau ?
Dig Out Your Soul ne laisse pourtant aucune ambiguïté dès sa pochette, saisissante pour un groupe aussi conservateur qu’Oasis, qui depuis ses débuts avait pris pour habitude de soigner son esthétique en utilisant des photos prises avec un grand angle et des perspectives stylées. Le collage de Julian House (spécialiste du genre, avec notamment XTRMNTR de Primal Scream) renvoie aux classiques du rock psychédélique, quelque part entre Disraeli Gear, Inner Mystique et Parachute [1]. Ce canevas confus d’images frappantes (le champignon atomique, le cimetière, les militaires) et de symboles religieux (les prêtres, la pomme croquée… et la mer ne s’ouvre-t-elle pas?) interpelle. Le titre de l’album – plus classique dans la forme, une explication de vie façon Gallagher avec cet usage familier de l’impératif -, porte même un message sorti tout droit de l’Expérience Psychédélique de Timothy Leary : dig out your soul, soit “déterre ton âme“. Tout un programme…
Les premières notes de l’album confirment les dires de Noel Gallagher. Il a bien du “Baron Saturday” dans “Bag It Up”. Il y en a aussi dans plusieurs morceaux de l’album (“Waiting For The Rapture”, “The Nature Of Reality”) qui avancent la plupart du temps sur le même rythme de sénateur, groovy sans doute, mais un peu poussif[2]. Pour cette raison, le meilleur moment de l’album demeure “The Shock Of The Lightning”, pour son intro à la Supergrass, son rythme plutôt élevé dans le canon d’Oasis, son riff de guitare et son excellent pont à mi-chanson (où Zak Starr fait un solo digne de son père).
Comme de coutume, Dig Out Your Soul contient une paire de ballades pour stades de foot, ici écrites par un Liam Gallagher effrayé par la perspective d’un album d’Oasis trop “expérimental”. A l’image de ses précédentes compositions, elles sont écrites sous influence directe de John Lennon[3], le chanteur restant fidèle à ses obsessions. “I’m Outta Time” est un peu gâchée par la production sans imagination de Dave Sardy (on dirait du Jet ou du Vines) et quelques clins d’œil lourdingues (un extrait de la dernière interview de Lennon en fin de morceau, la montée de piano récupérée de “Jealous Guy”). On préfère nettement “Soldier On” qui clôt l’album sur une note mélancolique. Dans un flot d’échos, avec une assise rythmique hypnotique, on y entend Liam chanter une de ses meilleures contributions.
Dans l’ensemble, Dig Out Your Soul brille par la qualité de son emballage sonore. Le groupe y est meilleur qu’il n’a jamais été et possède une vraie assise rock’n’roll (on est loin des accords barrés et de la saturation cache-misère de Definitely Maybe). On entend divers instruments qui enrichissent le son du groupe comme ces claviers lumineux, quelques effets électroniques, du sitar, un mellotron… et surtout on y retrouve un groupe qui a retrouvé de l’ambition. Les deux derniers albums d’Oasis étaient ceux de la rédemption, Noel Gallagher a décidé de se permettre à nouveau de se lancer dans des productions audacieuses.
L’ainé des frangins ne signe ici que six morceaux mais ils sont aisément les meilleurs de Dig Out Your Soul. Le leader s’est octroyé les quatre morceaux d’ouverture pour lancer l’album proprement : la superbe “Bag It Up”, “The Turning” avec son piano intrigant, “Waiting For The Rapture” qu’il chante, et le single “The Shock Of The Lightning”. De façon assez surprenante, on ne trouve quasiment aucun solo de guitare dans ces morceaux, signe que les temps changent pour Oasis. Après un intermède d’un morceau, on retrouve trace du leader avec les excellentes “Falling Down” et “Get (Off Your High Horse Lady)”… et c’est tout. Noel Gallagher abandonne au reste du groupe la fin de l’album, qui baisse cruellement de niveau. Le trip patchouli de “To Be Where There’s Life” de Gem Archer rappelle sans imagination “Who Feels Love” de Standing On The Shoulders Of Giants, tandis que “Nature Of Reality” du bassiste Andy Bell est plombée par un texte affligeant.
Le disque bonus de l’édition spéciale de l’album (qui propose un magnifique livret cartonné) offre d’autres morceaux, notamment l’excellent “Lord Don’t Slow Me Down” (qui donne on nom au DVD sorti l’an dernier), et deux surprises écrites par Liam : un folk-rock surprenant intitulé “I Believe In All” et une ballade pop “Boy With The Blues” On aurait largement préféré voir ces morceaux ajoutés au listing de l’album, ou remplacer les morceaux cités plus haut. L’album y aurait à la fois gagné en rythme et en qualité. A l’heure du mp3, rien n’empêche de se concocter sa propre playlist et d’y remédier, mais les amateurs de vinyle peuvent regretter ce tracklisting étonnant qui prive l’album de morceaux excellents et en garde deux ou trois qui lui confèrent une sorte de non-rythme.
Equilibré et agréable à l’écoute, Dig Out Your Soul se place malgré ses défauts parmi les tous meilleurs albums du groupe. Oasis ont été incroyablement surcotés en début de carrière, et injustement flingués par la critique depuis le ratage opiacé de Be Here Now (que Noel Gallagher renie depuis et a exclu du best-of Stop The Clocks). Solide au niveau du son, plutôt convaincant sur la distance, Dig Out Your Soul est de leurs albums celui qui comporte le moins de tubes immédiats et le plus de morceaux intrigants, c’est sans doute pour cela qu’il vieillira mieux.
Tracklisting :
1. Bag It Up *
2. The Turning *
3. Waiting For The Rapture
4. The Shock Of The Lightning *
5. I’m Outta Time
6. (Get Off Your) High Horse Lady
7. Falling Down *
8. To Be Where There Is Life
9. Ain’t Got Nothing *
10. The Nature Of Reality
11. Soldier On *
Vidéos :
“Shock Of The Lightning”
“I’m Outta Time”
Vinyle :
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p style=”text-align: justify;”>[1] Si vous ne voyez pas de quoi on parle nous sommes infiniment navrés pour vous et vous suggérons de courir vous procurer ces albums indispensables de Cream, Chocolate Watchband et Pretty Things.
[2] Il est amusant de constater qu’en multipliant les effets sonores et à vouloir sonner comme les Pretty Things, quelques morceaux de Dig Out Your Soul évoquent Kasabian (“Bag It Up”).
[3] Par ailleurs les références aux Beatles pleuvent dans cet album : “Revolution in her head“, sur “Waiting For The Rapture”. “Love is a litany/A magical mystery” sur “Shock Of The Lightning”, “All I want is the truth” sur “Ain’t Got Nothing”…