(titre original : Searching For Sugar Man)
Film de Malik Bendjeloul
Searching for Sugarman, documentaire de Malik Bendjelloul consacré à l’incroyable histoire de Sixto Rodriguez, présenté au festival de Sundance et attendu par les nombreux fans de l’auteur de Cold Fact, n’a été distribué que dans deux salles parisiennes et un cinéma lyonnais: les Bordelais, Rennais, Lillois et autres Strasbourgeois se sont donc vus priés d’aller se faire cuire un œuf, et en silence si possible.
Encensé par la critique à sa sortie en juillet 2012 (« un film merveilleux, un conte de fées atypique et qui réchauffe le coeur » pour Mojo, « une exploration brillante de la nature de la célébrité » pour Philip French du Guardian, « l’indélébile portrait d’un artiste à qui l’on a donné une seconde chance » selon le Los Angeles Times), il ne figure même pas dans les vingt films qui ont fait le plus d’entrées entre le 26 décembre 2012 (date de sa sortie en France) et le 1er janvier 2013. A titre de comparaison, le dernier Twilight disposait aux mêmes dates de 266 copies dans l’hexagone, Niko le petit renne 2 (impérissable chef-d’œuvre cervidé qui fera l’objet d’une prochaine chronique à cornes) de 719 copies et De l’autre côté du périph, avec la nouvelle personnalité préférée des Français qui aide les handicapés et ne donne surtout son avis sur rien, de 500 copies. Comme dit Jean II Le Meingre après la bataille d’Azincourt, les chiffres parlent d’eux-mêmes.
Construit comme une enquête journalistico-policière, le film remonte le fil d’une investigation menée par deux fameux fondus du casque, Stephen ‘Sugar’ Segerman (cela ne s’invente pas) et Craig Bartholomew, paire d’inconditionnels sud-africains de Rodriguez qui cherche à découvrir ce qu’est véritablement devenu le chanteur, sur qui circulent les plus folles rumeurs (overdose en prison, suicide sur scène entre autres). Flop commercial retentissant partout ailleurs, Cold Fact, sorti en 1970 (si vous ne possédez guère encore la chose, bande d’inqualifiables béotiens, quelques clics avisés suffiront à vous la procurer d’urgence), connut un immense succès en Afrique du Sud (le chiffre du demi-million d’exemplaires vendus est avancé dans le film) et fut l’une des sources d’inspiration de la communauté afrikaner et de la classe moyenne blanche dans la lutte contre l’apartheid. Segerman, à qui une touriste américaine explique que l’album est quasi-introuvable aux Etats-Unis, veut chercher à percer le mystère Rodriguez, tout comme Bartholomew, journaliste musical en quête d’une bonne histoire à raconter.
Même si la fort louable démarche des deux compères permet à Rodriguez de sortir de l’anonymat pour quelques concerts à guichets fermés, beaucoup de questions restent sans réponse: pourquoi cet artiste si talentueux et inspiré, auteur de chansons à tomber par terre, n’a-t-il pas marché aux Etats-Unis? Où est passé le pognon issu du carton énorme de Cold Fact en Afrique du Sud? Comment se fait-il que Rodriguez n’ait jamais eu le moindre écho de son immense popularité dans ce pays? Pourquoi autant d’histoires improbables furent racontées sur son compte, à tel point que ses plus grands fans le croyaient mort? Le destin si particulier de Sixto l’oublié (n’a-t-on pas affaire à un cas unique dans l’histoire de la musique populaire, si tant est que cet adjectif puisse être associé à ce génie de l’ombre?) reste empreint de mystère, ce qui rend le personnage plus fascinant encore.
Pourtant, Rodriguez n’a jamais cherché à se forger un mythe ni a accéder plus ou moins volontairement au rang de légende urbaine. Quand, moment particulièrement émouvant, il apparaît enfin à l’écran en chair et en os, c’est un homme non pas comme tout le monde (on n’est pas comme tout le monde quand on a écrit « Crucify your mind » ou « Forget it ») qu’il nous est donné de voir et d’écouter, mais quelqu’un de profondément ancré dans le réel, qui a trimé dur toute sa vie dans les pires boulots possibles pour gagner sa croûte et qui vit dans la même maison modeste de Detroit depuis quarante ans. Pas étonnant que le deuxième album du monsieur s’intitule Coming From Reality: c’est de là qu’il vient, Rodriguez, de cette ville dure et froide, peuplée d’entrepôts à l’abandon et de magasins fermés depuis des lustres, minée par la violence et les crises économiques. D’une élégance et d’une classe rares malgré son infortune, il n’en veut pas à la vie et ne conçoit aucune amertume: les choses se sont passées ainsi, et voilà tout. On sort de la salle rempli d’admiration pour le bonhomme, aussi humble que sage, et sur qui PlanetGong avait modestement tenté d’attirer l’attention il y a un peu plus de quatre ans, à une époque pas si lointaine où sa musique n’intéressait personne.
Bande-annonce :