Film de John Carney (2006)
Le personnage principal de Once, dont on ignore jusqu’au bout le nom (dans le générique, il apparaît sous l’universalisante appellation de « the guy »), est musicien de rue à Dublin. A trente ans bien sonnés, il vit encore chez son père et l’assiste parfois dans son travail de réparateur d’aspirateurs. Sous le coup du départ de sa petite amie pour Londres, il compose dans l’intimité de sa chambre des chansons à fleur de peau qu’il teste sur les passants souvent indifférents de Grafton Street. Jusqu’au jour où une jolie vendeuse de fleurs à l’accent délicieusement étranger (« the girl », vous l’aurez compris) prête une oreille attentive aux déchirantes mélopées de ce chanteur pas comme les autres, qu’elle assaille de questions embarrassantes sur l’objet de son inspiration. Il est seul, brisé et nostalgique. Elle débarque de République Tchèque avec son bébé et sa mère, qui partage son petit appartement. Entre ces deux coeurs perdus, une relation privilégiée ne tarde pas à s’établir, dans laquelle la musique tient une place prépondérante. Lorsqu’elle lui avoue qu’elle est elle-même pianiste, il l’entraîne dans un magasin de musique où ils jouent ensemble une de ses compositions. Immédiate et évidente, l’alchimie naissante dépasse rapidement le cadre musical.
A première vue, le scénario paraît digne d’une énième comédie romantique à la sauce hollywoodienne ou d’un mélodrame sponsorisé par une marque de mouchoirs en papier. Or, le film évite les écueils sentimentalistes et sonne prodigieusement juste d’un bout à l’autre, en équilibre sur un fil ténu et comme touché par la grâce. Entre elle et lui, ces deux amoureux transis encombrés du poids de leur histoire et trop timides même pour s’embrasser, tout ce qui relève du non-dit et de l’indicible passe par le vecteur musical, à la fois dernier refuge des égarés et topos de l’émotion pure. Libérés des contraintes et des peurs qui les empêchent de dépasser le stade du flirt, ils peuvent donner libre cours aux sentiments qui les étreignent, et leur complicité s’avère artistiquement fructueuse : elle pose des paroles en forme de message codé sur ses accords et lui se sent regonflé par l’intérêt qu’elle porte à sa personne et à son art. La musique se fait point de convergence de deux existences douloureuses et lieu de rencontre de deux êtres fragiles unis par leur désir d’apporter un peu de beauté au monde.
Le caractère unique et éphémère de leur relation est souligné par le titre, qui ne fait en aucune façon référence au premier mot de tous les contes de fées. Pas de happy ending au sens classique ici, qui mettrait miraculeusement fin aux problèmes et réunirait à jamais les amants platoniques: c’est dans un monde très réel que les personnages évoluent, source d’insatisfaction, de dilemmes et de souffrance. Pour autant, le film ne verse pas dans le misérabilisme et dégage une grande chaleur, une profonde énergie vitale, échappant également au cliché de l’artiste maudit, condamné à la frustration et à l’anonymat. Dans sa quête de voir aboutir son projet d’album, « the guy » peut non seulement compter sur le soutien inconditionnel de son amie venue de l’Est, mais également sur celui d’autres musiciens de rue, qui acceptent au pied levé de former son backing band lors de l’enregistrement, ou d’un ingénieur du son d’abord blasé puis bluffé par la qualité de ses chansons. La scène où le père félicite son fils après avoir écouté les bandes et lui souhaite bonne chance à la veille de son départ pour Londres reste en mémoire comme l’une des plus touchantes du film.
La tonalité très authentique de Once tient au fait que Glen Hansard et Marketa Irglova sont tous deux musiciens professionnels, et non comédiens. A l’origine, c’est Cillian Murphy (l’un des deux frères dans Le vent se lève de Ken Loach) qui devait jouer le rôle principal et chanter les chansons de Hansard, mais l’idée de se retrouver face à une néophyte de dix-sept ans l’a quelque peu refroidi. D’abord réticent, Hansard a finalement accepté d’interpréter son propre personnage, et ses talents d’acteur se sont avérés remarquables. Tourné avec des bouts de ficelle et financé en grande partie par l’Irish Film Board, Once, qui a reçu un accueil critique très favorable à sa sortie, a obtenu l’Oscar de la meilleure chanson originale en 2008 pour la magnifique « Falling Slowly », suite à quoi la bande originale du film a atteint la première place des charts en Irlande. Pour la petite histoire, Irglova et Hansard ont brièvement formé un véritable couple et se sont produits plusieurs fois ensemble sur scène, notamment à la Cigale à l’automne 2010 sous le nom de Swell Season. S’ils sont aujourd’hui séparés, leur collaboration a accouché d’un film bouleversant et de quelques titres d’une beauté renversante.
La bande-annonce du film :