(Fat Cat 2014)
Attention, cet album fait débat. The Growlers, après une décennie à égayer l’internationale underground de son beach-goth hirsute sont arrivés à la croisée des chemins. L’avenir du groupe est en jeu, le choix cornélien : doivent-ils cultiver leur approche brouillonne au risque de devenir des losers cultes ou s’ouvrir au grand public et perdre une partie de leur âme ? Réponse B, semble indiquer Chinese Fountain, la dernière livraison du groupe, la plus accessible à ce jour aux ondes FM généralistes.
Le changement qu’apporte Chinese Fountain vient du son, de la production. En quittant le local qui leur servait autant de studio que de domicile, le groupe a professionnalisé son approche. En enregistrant dans le studio de leur manager JP Plunier, les Growlers ont nettoyé leur rock psychédélique aux mille influences bordéliques et tenté des choses sortant de leur ordinaire. La plus choquante d’entre elles demeure évidemment la pop discoïde du morceau-titre qui voit le groupe franchir le Rubicon de la musique commerciale. Une trahison pour les fans hardcore qui ont d’ores et déjà renié le groupe, mais une évolution amusante pour quiconque apprécie la new-wave dansante Franz Ferdinand autant que les morceaux les plus lo-fi des Growlers. Cela dit, les voir délaisser ainsi le beach-goth pour les paillettes est une petite mort.
Ce qui déçoit le plus ici en fait, ce n’est pas tant quand les Growlers se lancent dans l’inconnu, c’est plutôt quand leur nouvelle approche mainstream vient gâcher des mélodies pourtant bien écrites. C’est le cas sur “Dull Boy”, chanson à la structure typique du groupe, saccagé par un beat binaire degueulasse (la batterie est globalement laide sur ce disque). Arrêtons nous un instant pour évoquer ces nappes de synthé inutiles sur “Not The Man” qui ne servent à rien, sinon à gâcher le plaisir de l’auditeur. Plus globalement, l’album est marri par une production trop clinique. Les Growlers n’ont jamais été des garçons bien coiffés, et les voir ainsi dégrossis paraît factice. Les Growlers qui font de la pop indé proprette, c’est comme voir Bart Simpson endimanché pour aller a la messe. Quelque chose qui va contre nature.
Heureusement, sur quelques morceaux, les Growlers démontrent qu’ils n’ont pas perdu leur inspiration. Leurs mélodies sont toujours aussi limpides et efficaces, les textes atteignent une fois des plus des sommets de désespoir. “Big Toe”, “Black Memories”, “Going Gets Tuff”, “Good Advice” figurent même parmi les plus belles réussites jamais écrites par le groupe. C’est ce qui rend la critique de cet album délicate. On l’a écouté des dizaines de fois, au point de ne plus trop savoir quoi en penser. D’un côté la production a de quoi heurter, mais on a souvent envie de rejouer l’album car on y trouve de véritables perles.
Si les Growlers s’étaient vautrés dans les largeurs, notre tâche aurait été bien plus simple : au placard et on n’en parle plus… Ici, on revient régulièrement au disque pour en écouter les meilleurs passages tout en maudissant le groupe de l’avoir ainsi saboté. Cela tient presque de l’exercice masochiste mais certaines chansons sont trop bonnes pour être ignorées. Chinese Moutain est ainsi le disque le plus contrariant de l’année, le plus déprimant aussi car il voit un de nos groupes chéris partir dans une direction qui nous déplaît. L’avenir nous dira si ce n’était qu’une passade ou le début d’une nouvelle ère, mais n’enterrons pas encore pour autant les Growlers. Tant qu’ils se montreront capable d’écrire des mélodies telles que “Black Memories”, on est prêt à leur accorder le bénéfice du doute.
Tracklisting :
1 – Big Toe *
2 – Black Memories *
3 – Chinese Fountain
4 – Dull Boy
5 – Good Advice
6 – Going Gets Tough *
7 – Magnificent Sadness
8 – Love Test
9 – Not the Man
10 – Rare Hearts
11 – Purgatory Drive
L’album est en écoute ici :
Vidéo :
“Good Advice”