(CBS, 30 août 1965)
Highway 61 Revisited, le meilleur album studio de Dylan, peut être considéré comme le disque le plus important de la décennie (et de l’histoire du rock). Lou Reed, pourtant avare de compliments, déclara: “Personne ne peut concevoir ce que cela pouvait signifier d’être Bob Dylan en 1965” .
Cette année-là, en deux albums, Dylan a révolutionné la pop-musique. La sortie de Bringing It All Back Home (en janvier) avait outré la plupart de ses fans. Dans cet album, l’héritier de Woody Guthrie, prodige du folk et des protest-songs, était accompagné d’un groupe, et jouait de la guitare électrique. Beaucoup espéraient que cette expérience ne serait qu’une parenthèse dans la carrière de leur idole, et le 25 juillet, au festival de Newport, tous s’attendaient à un concert acoustique.
Ce fut le premier live électrique de Dylan; son groupe et lui-même y jouèrent trois chansons, avant de s’enfuir de scène, hués par une grande partie du public. Après de longues négociations, les organisateurs parvinrent à convaincre Dylan de remonter seul sur scène, avec sa guitare acoustique et son harmonica. Il accepta, joua “Mr. Tambourine Man” (dont la reprise par les Byrds avait été #1 des charts anglais et américains le mois précédent), puis “It’s All Over Now, Baby Blue”, et quitta la scène. Le message ne pouvait pas être beaucoup plus clair, et si toutefois quelques-uns n’avaient pas compris, la sortie de Highway 61 Revisited, quelques semaines plus tard, ne laissa plus de place au doute.
L’album débute par “Like A Rolling Stone”. A la production, (l’inévitable) Tom Wilson, qui a invité un ami à assister à l’enregistrement. Celui-ci, un jeune guitariste nommé Al Kooper, avait bien l’intention de jouer avec son idole, et s’installa dans le studio, puis se mit à jouer en attendant l’arrivée du groupe. Quand Mike Bloomfield, le guitariste attitré de Dylan, arriva à son tour et commença à gratter quelques notes, le jeune Kooper fut tellement impressionné qu’il retourna en cabine, dépité. Peu après le début de la session, il supplia Tom Wilson de le laisser jouer, prétendant avoir une partie d’orgue parfaite pour le morceau. Le producteur accepta, et les premières notes jouées par Al Kooper se retrouvèrent sur le morceau qui allait devenir une référence de la carrière de Dylan. Celui-ci insista même pour que le volume de la partie d’orgue soit réhaussé sur le mix final. A l’image de l’aventure d’Al Kooper, “Like A Rolling Stone” est un vrai petit miracle: “c’est une merveille de six minutes” avait sobrement commenté le NME à la sortie du single. Cette chanson, sur laquelle Dylan s’époumone comme un forcené, et dont le refrain revient chaque fois plus puissant, est implacablement encadrée par un son d’une ampleur inédite.
J’aurais pu écrire “Satisfaction”, mais tu n’aurais jamais pu écrire “Desolation Row”.
Bob Dylan à Keith Richards
Le reste de l’album est produit par Bob Johnston, et “Tombstone Blues”, “It Takes A Lot To Laugh, It Takes A Train To Cry” et “From A Buick 6” sont résolument blues, moins agressives que la première chanson. On retrouve le son énorme et impressionnant de “Like A Rolling Stone” sur “Ballad Of A Thin Man”, qui clôt la face A de façon magistrale: à nouveau, l’orgue est omniprésent, et Dylan chante de toute sa morgue. Les textes des chansons sont eux aussi d’une nature tout à fait nouvelle: en donnant à ses chansons une nature surréaliste et allégorique, Dylan a rendu possible l’expression littéraire au sein de la musique Pop. Après écoute, Lennon comprit qu’il pouvait écrire des chansons différemment : “Dylan montre la voie à suivre“; quelques années plus tard, Springsteen rendit lui aussi hommage à Dylan : “Il a libéré les esprits, tout comme Elvis a libéré les corps“.
La face B du 33 tours comprend deux ballades blues: (“Queen Jane Approximately” et “Just Like Tom Thumb’s Blues”), et une chanson rock aux textes surréalistes, “Highway 61 Revisited”. Dylan semble touché par la Grâce, il se permet toutes les fantaisies, qu’elles soient textuelles ou sonores: ses chansons sont extraordinaires, et il le sait. Le disque se termine sur “Desolation Row”, ballade magnifique de plus de onze minutes, qui met en scène des personnages historiques (écrivains ou scientifiques), de fiction et bibliques (parmi lesquels Cendrillon, Roméo, Caïn et Abel, Quasimodo, Einstein, Casanova, Ezra Pound, T.S. Eliot). A propos de cette chanson, Dylan déclara à Keith Richards quelques mois plus tard: “J’aurais pu écrire “Satisfaction”, mais tu n’aurais jamais pu écrire “Desolation Row”.“
Avec ce disque, Dylan libéra ses contemporains de toutes les contraintes de l’époque; après Highway 61 Revisited, ils purent sortir des singles de plus de trois minutes, écrire des chansons aussi longues qu’une face de vinyle, et concilier écriture pop et poésie. Pour toutes ces raisons – et pour toutes ses chansons extraordinaires, ce disque reste essentiel dans l’histoire de la musique moderne.
Tracklisting :
- Like A Rolling Stone ***
- Tombstone Blues *
- It Takes A Lot To Laugh, It Takes A Train To Cry*
- From A Buick 6 *
- Ballad Of A Thin Man ***
- Queen Jane Approximately *
- Highway 61 Revisited ***
- Just Like Tom Thumb’s Blues *
- Desolation Row ***
Site officiel : www.bobdylan.com
Vidéos
“Like A Rolling Stone”
“Ballad Of A Thin Man”
“Desolation Row”
Vinyle :