(Source 2006)
Que faut-il faire d’un disque de Jean-Benoit Dunckel en 2006? Depuis leur second album, 10000 Hz Legend, les membres de Air ont quelque peu eu tendance à se disperser et ont vu la qualité de leur travail se dégrader.
Les choses avaient commencé à se gâter avec City Reading tout d’abord, qui voyait la musique planante de Air servir de fond à une lecture des textes de l’écrivain Alessandro Barrico. On avait la désagréable impression d’assister à un concert du groupe à côté d’un italien bavard. L’album suivant, Talkie Walkie, les voyait toucher le fond avec des expérimentations électroniques délaissées au profit de pop gnangnan chantée avec un accent franchouillard. Ca commençait à faire beaucoup.
Cette année le groupe a composé l’album de Charlotte Gainsbourg, honnête quoiqu’en deçà de ce qu’on espérait de la part d’un groupe aussi novateur, et Jean-Benoit Dunckel se fend d’un album solo sous le pseudonyme mystérieux de Darkel (avant le quatrième album officiel d’Air prévu pour début 2007). Ce disque, composé alors qu’Air enregistrait déjà ces deux albums pose une question à double tranchant : s’agit-t-il du projet d’orgueil d’un musicien auto-complaisant ou de la preuve d’un regain d’inspiration inespéré ? La réponse se situe sans doute entre les duex. Ce Darkel, sans être génial rassure à plusieurs niveaux.
Ce qu’on remarque, en premier lieu, c’est que Dunckel est un producteur exceptionnel, beaucoup plus créatif quand il s’occupe lui-même du son que quand il laisse un tiers aux commandes (on pense notamment à Nigel Godrich qui a dénaturé et ramolli le son d’Air sur ses deux dernières contributions). On en avait déjà eu la preuve avec leurs remixes, notamment celui de “Better Future” de David Bowie). Dans Darkel, Dunckel renoue avec les expérimentations électroniques et retrouve sa baguette de magicien.
Dès l’ouverture, “Be My Friend” on retrouve les sonorités synthétiques qu’on adore chez Air : infrabasse, blip-blips, chœurs aériens, solo de moog terminal… on est renvoyé dans une dimension proche de Moon Safari. Plus tard, “TV Destroy” enfonce le clou en envoyant des sons venus d’ailleurs, un maelstrom de guitares saturées et une mélodie qu’on a l’impression de toujours avoir connu. Ensuite, dans le même registre, “Beautiful Woman” propose quelques idées percutantes, malgré un refrain un peu poussif.
Un autre aspect du disque concerne son aspect pop. Comme le démontre l’excellent “TV Destroy”, Dunckel possède la capacité d’écrire des morceaux de 3 minutes aux mélodies instantanément sifflables. Le meilleur exemple ici demeure le single cheesy “At The End Of The Sky”, qu’on écoute en dodelinant de la tête sans se render compte qu’on est tombé sous son charme. Dans une veine plus lente, “Pearl” se pose comme une ballade mortuaire d’une beauté surnaturelle. Le reste de l’album est ensuite constitué de nombreux morceaux planants plus ou moins pertinents ou hypnotiques (souvent dispensables, comme le dub chiant de “EARTH”, ou “How Brave You Are” et “Bathroom Spirit” qu’on pourrait presque écouter dans un ascenseur).
Tout cela serait parfait si quelques détails ne venaient gâcher notre plaisir. Le premier, et il est de taille, concerne la voix de Dunckel, avec laquelle on avait déjà eu du mal dans Talkie Walkie. Son accent anglais (« bi maille fwende ») est, disons, perfectible. On préférait quand Air avaient recours à des chanteuses ou des effets pour transformer leurs voix. Les chansons seraient vraiment meilleures si Dunckel ne chantait pas lui-même (ou s’il mettait sa voix en retrait). Par ailleurs, on constate dans Darkel que certaines chansons possèdent d’étranges ressemblances mélodiques avec des morceaux connus. “Some Men” pourraît ainsi s’intituler “Sex Born Poison volume 2” tant elle est la jumelle – à plusieurs niveaux, hormis les chanteuses japonaises – de cette piste tirée de 10000 Hz Legend. Pire encore, “My Own Sun” est un plagiat éhonté de “Well Respected Man” des Kinks. Prenez le morceau de Ray Davies, changez en les paroles, apportez une variation minime sur la mélodie, et vous obtiendrez une chanson de Darkel. Même l’ambiance générale de la chanson, plutôt folk, renvoie au groupe londonien. Etonnant…
Malgré ces quelques écueils, Darkel est un album très agréable à écouter. On est sur l’ensemble loin des meilleures productions de Air mais les morceaux phares de l’album (tous placés en ouverture d’album) sont véritablement grandioses. On en sort plutôt optimiste pour les prochaines productions du groupe mais convaincu néanmoins que Dunckel ne peut se passer de Godin. Trop de morceaux ici servent de remplissage et semblent écrits par un musicien qui s’est un peu trop accordé le luxe de se planter. Cet album aura au moins eu le mérite de nous démontrer qu’au moins une moitié d’Air n’est pas morte, ainsi que les blip-blips magiques qui l’accompagnent.
Tracklisting :
1. Be My Friend *
2. At The End Of The Sky *
3. TV Destroy *
4. Some Men
5. My Own Sun
6. Pearl
7. EARTH
8. Beautiful Woman
9. How Brave You Are
10. Bathroom Spirit
Vidéos :
“TV Destroy”