(Polskie Nagrania XL 0438 1967)
Unique album de Polanie, un groupe de garage–rock polonais, ce disque présente sur chacune de ses faces deux approches opposées : sur la première, le groupe joue ses propres compositions, et sur la seconde, il se consacre à des reprises de morceaux anglais ou américains. Pour comprendre l’origine de ce choix, il faut remonter au mois de novembre 1965, lorsque Polanie a assuré la première partie de The Animals pendant la tournée en Pologne du groupe d’Eric Burdon. Au cours de cette tournée, Burdon offrit à Piotr Puławski, le chanteur et guitariste de Polanie, quelques disques de groupes anglais et américains, non disponibles en Pologne à l’époque.
Polanie fut le deuxième groupe polonais qui eut l’opportunité de tourner en dehors des limites du territoire national (après Niebiesko–Czarni) : le groupe a ainsi participé à des tournées en Allemagne et au Danemark, et au moment de l’enregistrement de l’album, Polanie existe déjà depuis près de deux ans, et le groupe est parfaitement rodé. Mieux encore, Polanie était considéré dans son pays comme un supergroupe, puisqu’il était composé par d’anciens membres de deux groupes à succès : Niebiesko–Czarni, dont provenaient Andrzej Nebeski (batterie), Zbigniew Bernolak (basse) et Włodimierz Wander (saxophone ténor), mais aussi de Czerwono–Czarni, dans lequel avaient joué Piotr Puławski (chant, guitare) et Wiesław Bernolak (orgue). Le résultat est éclatant : chaque membre du groupe est extrêmement compétent, le son de Polanie est tout simplement parfait, caractéristique du rock’n’roll du milieu des années 1960, et n’a rien à envier à ses contemporains britanniques ou américains.
De plus, la face A montre que Polanie avait la capacité de composer des morceaux mémorables : quelques-unes des pistes écrites pour cet album ne sont rien de moins qu’extraordinaires. Dès les premières mesures de guitare qui ouvrent « A ty pocałujesz mnie », l’auditeur sait que le disque mérite le détour : et lorsque tout le groupe rejoint le riff de guitare, il devient évident que le morceau sera réussi. Le début de l’album est proprement hallucinant : « Nie wiem sam » voit le groupe réciter ses gammes rock’n’roll avec une facilité déconcertante : une rythmique tendue, un orgue génial, une guitare acérée et un saxophone déchaîné entourent le chant de Piotr Puławski qui est appuyé par des chœurs sur les refrains. Polanie propose encore une chanson de très grande classe, « Nie zawrócę », où l’orgue mène le morceau sur une base rythmique basse-batterie très complémentaire.
La première face du disque s’achève sur la réjouissante chanson « Dlaczego tak mnie traktujesz ?», un exercice de style résolument rhythm’n’blues ; une fois de plus, la parenté avec les groupes de British R’n’B est évidente (Rolling Stones, Pretty Things et Animals) : Polanie démontre une nouvelle fois son savoir-faire, avec un jeu de guitare et de clavier d’une justesse exemplaire.
Exclusivement composée de reprises, la face B est l’occasion pour les membres de Polanie de rendre hommage aux divers artistes qui les avaient influencés, par l’intermédiaire d’Eric Burdon fort probablement : ainsi, le groupe enregistre une reprise appliquée de « Black Jack » de Ray Charles qui offre son moment de gloire au saxophoniste Włodimierz Wander. Autre reprise surprenante, celle de « Cool Jerk », un morceau des Capitols (!), qui apparaît ici dans une version moins enlevée que l’originale, mais néanmoins bien réussie. Les reprises de « Sunny Afternoon » et de « Summer in the City » sont réalisées avec application ; les versions de Polanie sont très respectueuses des originales. A vrai dire, elles peuvent même paraître un peu trop respectueuses ; il ne faut cependant pas oublier que les versions des Kinks et de Lovin’ Spoonful étaient inconnues en Pologne à l’époque : dans cette perspective, les morceaux se voient dotés d’une pertinence nouvelle.
Le grand moment de cette face B est sans conteste l’interprétation que Polanie rend de la chanson « I’m Crying » : sur celle-ci, le groupe se montre réellement sauvage, en livrant une version fidèle à la version originale. Le groupe parvient à soutenir la comparaison avec la version enregistrée par les Animals en 1964, ce qui n’est pas un mince compliment. Les voix partent dans tous les sens, l’orgue hurle et la guitare impose ses solos avec un tranchant extraordinaire. Puławski chante de toute sa morgue, sans aucun complexe vis-à-vis du chant de Burdon, et règne en maître au-dessus d’un accompagnement musical parfait.
Probablement le meilleur représentant de cette frange musicale au croisement entre beat et garage-rock en Pologne, le groupe Polanie ne sortira malheureusement pas d’autre album ; la discographie du groupe se compose donc seulement de cet excellent LP et de trois EP.
Liste des chansons :
- A ty pocałujesz mnie *
- Nie wiem sam *
- Długo się znamy *
- Nieprawda, nie wierzę
- Nie zawrócę *
- Ciebie wybrałem
- Dlaczego tak mnie traktujesz ? *
- I’m crying (Burdon ; Price) *
- Black Jack (R.Charles)
- Sunny afternoon (R.Davies)
- Cool jerk (D.Storball) *
- Summer in the city (J.Sebastian ; S.Boone)
Le disque a été réédité en vinyle pendant les années 1980 pour l’excellente série « Z Archiwum Polskiego Beatu », et plus récemment en CD (en 2003, puis en 2009); la dernière version CD propose trois morceaux supplémentaires tirés d’un des trois EP de Polanie : « Down in the valley », « Can you hear me ? » et « Georgia on my mind ».
Vidéos :
“A ty pocałujesz mnie”
Vinyle :