(CBS 1968)
Au moment de la sortie de ce disque (son premier), Leonard Cohen est un auteur canadien qui, à trente-trois ans, a déjà publié quatre recueils de poésie (dont “Flowers for Hitler” et “Parasites of Heaven”) et deux romans (“The Favourite Game” et “Beautiful Losers”).
Il s’essaye ici à un nouvel exercice, interprétant lui-même quelques-uns de ses poèmes sur une musique douce et finement arrangée (le producteur, John Simon, a réalisé sur ce disque des prodiges d’orchestrations, à la fois riches et délicates). Cohen s’accompagne lui-même à la guitare acoustique, et il est parfois rejoint par un groupe: guitare basse, deuxième guitare (acoustique ou électrique), violons, batterie, guimbarde…
“Suzanne”, le morceau qui ouvre ce disque, est parfaitement représentatif de l’ensemble des chansons de l’album : un arpège simple et touchant de guitare que domine la voix calme et grave de Cohen, encadrée de choeurs et de violons. De plus, un aspect primordial des chansons de Leonard Cohen consiste en la qualité exceptionnelle de ses textes. Sur “Suzanne” apparaît pour la première fois son style, fait d’une écriture quotidienne (presque “banale”) où jaillissent des métaphores fulgurantes : “Now Suzanne takes your hand / And she leads you to the river / She is wearing rags and feathers / From Salvation Army counters / And the sun pours down like honey / On our lady of the harbour / And she shows you where to look / Among the garbage and the flowers ». La pertinence et la puissance de ces images sont décuplées par le fait de les voir apparaître dans un contexte familier ; c’est le cas sur “Master Song” (“Then he touches your lips now so suddenly bare / of all the kisses we put on some time before.”), puis sur “Hey, that’s no way to say goodbye” (“I loved you in the morning, our kisses deep and warm,/ your hair upon the pillow like a sleepy golden storm, / yes, many loved before us, I know that we are not new, / in city and in forest they smiled like me and you »).
Bien que le rythme de l’album soit tranquille et posé, ici la quiétude n’est que de surface; les thèmes abordés n’ont rien de très joyeux : amour déçu, souffrance, lâcheté, abandon. Se mettant totalement à nu, Cohen parvient à sublimer sa douleur. S’il livre ses états d’âme à tous, il le fait sans jamais s’apitoyer sur lui-même, laissant à l’auditeur le soin de se reconnaître à travers ses chansons. La dernière chanson de l’album, “One of us cannot be wrong”, laisse transparaître de façon explicite le monde de souffrance et de folie sous-jacent aux chansons de ce disque : solo (plus qu’improbable) sifflé et chant torturé se disputent la dernière note. “But you stand there so nice, in your blizzard of ice, / Oh please let me come into the storm.”
Songs of Leonard Cohen est un disque indispensable, un album qui se redécouvre régulièrement, avec plaisir et mélancolie.
Liste des chansons :
- Suzanne *
- Master Song
- Winter Lady
- The Stranger Song
- Sisters Of Mercy *
- So Long, Marianne *
- Hey, That’s No Way To Say Goodbye
- Stories Of The Street
- Teachers
- One Of Us Cannot Be Wrong
Vidéos
“Suzanne”
“So Long Marianne”
Vinyle :