(Rough Trade 2006)
Le Yorkshire est en train de devenir le centre du monde, ou en tous cas, celui du rock anglais. Dans un pays aussi fourni en lieux imprégnés d’une culture rock et d’un son qui font partie prenante de leur identité (Liverpool, Manchester, Londres, Oxford, Canterbury, Bristol…), cette région industrielle rendue célèbre par les soeurs Brontë s’est trouvée une scène indé de premier ordre. Cribs, Kaiser Chiefs, Black Wire, Arctic Monkeys et aujourd’hui Long Blondes ont fait du Yorkshire the place to be. De quoi réveiller l’intérêt autour d’une autre figure du coin, Jarvis Cocker, et le pousser à sortir un nouvel album…
Dans ce premier album, à la pochette discutable mais au contenu magnifique, The Long Blondes, groupe aux trois cinquièmes féminin, tente le pari de fusionner la culture disco-punk new-yorkaise à la Blondie au son punk anglais des Libertines. Le résultat obtenu pourrait être inepte, un truc bêtement dansant comme les albums de The Rapture, dont l’usage est proscrit en dehors des boites de nuit branchées. The Long Blondes évitent tous les écueils grâce au style et à la personnalité de la chanteuse Kate Jackson, icône sexuelle en devenir, et à une écriture singulière. Les mélodies de The Long Blondes serpentent, égarent l’auditeur, ne se livrent pas à première écoute. Quand on est bien entré dans l’album, chaque refrain devient une épiphanie, un moment de jouissance magnifique.
La face A du vinyle, véritable mini-album est proche de la perfection. Un larsen, une batterie déjà métronomique, une basse vrombissante, la guitare arrive en même temps que la voix suave et toute en retenue de Kate Jackson. Les Long Blondes se lachent et le refrain claque comme un coup de fouet : “Edie Sedgwick, Anna Karenina, Arlene Dahl!/I just want to be a sweetheart!“. A peine la chanson arrêtée, le groupe se lance dans “Once And Never Again”, qui sonne comme un morceau des Libertines chanté par Karen O. Les paroles sont un conseil féministe/hédoniste adressé à une jeune fille : “you’re only nineteen for god’s sake/you don’t need a boyfriend” mais masquent en fait un malaise chez la chanteuse (“You know I’m not so young / I spend an hour getting ready every day“) qui avoue en fin de chanson regretter ses vertes années (“I’d love to be a girl your age / Once and never again »).
La suite, “Only Lovers Left Alive” paraît sans saveur en premier lieu tant le couplet et le pré-refrain n’emballent pas. Quand surgit le refrain au riff funky, on doit à nouveau s’avouer vaincu. On se rend compte que la ligne de basse est monstrueuse pendant que Jackson déplie sa mélodie à tiroir. Ensuite, c’est la grosse fête. Le guitariste / compositeur Dorian Cox envoie le riff le plus dansant de l’année pendant que la section rythmique joue avec notre épine dorsale. Une fois de plus, lorsque le refrain explose, quelque chose de surnaturel se passe, comme si la chanson n’était qu’une longue abstinence précédant une libération salvatrice. La production est parfaite : nappe de synthé discrète, guitare western, batterie martelé, des chœurs dissonants renvoient la balle à la chanteuse. Aux alentours de 3’33”, le morceau part dans une dimension réservée aux grandes chansons avec un final superbe en spoken word ponctué de cris revendicatifs. “Giddy Stratosphere”, dont le texte est lui aussi génial, est sans aucun doute un des morceaux de l’année 2006.
“In The Company Of Women” laisse le temps de reprendre un peu son souffle après cette claque. Cette chanson tendue à l’extrême ralentit un peu notre rythme cardiaque avant le début de “Heaven Help The New Girl” qui clôt la face A et transforme soudain l’album en concept. Cette chanson commence lentement, avec Kate Jackson qui se lamente à propos de la jeune fille de “Once And Never Again” qui n’a pas écouté son conseil : “Heaven help the new girl if she has to go through what I went through to”. La mélodie accélère ensuite en un rythme funky et la chanteuse donne sa vision des choses à la jeunette : “So go, just go / Cause you’ll never be nineteen again / I thought I’d told you before / You don’t need a boyfriend / So go, just walk, it doesn’t matter if it’s raining or dark ». La boucle est bouclée. La face A s’arrête sur un ton grave mais une morale hédoniste : “Tu n’as que 19 ans alors quite ton connard de copain et éclate-toi“.
De fait, la face B propose le plan idéal pour parvenir à cette fin. “Separated By Motorway” est un tube disco-punk imparable centré autour d’une batterie bondissante. L’effet sur les dancefloors est garanti. Avec “You Could Have Both”, le groupe entre dans le territoire art-rock de groupes comme The Rakes. Un synthé et l’écho d’une voix dans l’arrière plan et le final parlé donnent à cette chanson dansante un côté europop eighties (Eurythmics/Soft Cell). Kate Jackson revient à son plaidoyer sur le célibat en décrivant une relation en trinôme vécue de l’intérieur. Lors du long dialogue terminal, la chanteuse lâche la phrase “You don’t have to worry much about the future /…/ Because there’ll always be a phone to ring at three in the morning / You’ll always have someone to drive you home » qui donne son nom à l’album et trahit l’ambiguïté de sa position, entre besoin d’un réconfort masculin et envie de tout envoyer chier.
Après cette démonstration incroyable, le groupe reprend son punk dansant, sans plus surprendre néanmoins. “Swallow Tattoo” fonctionne sur le même équilibre que plusieurs morceaux du début d’album tandis que le single “Weekend Without Make Up” est, paradoxalement, un des morceaux les plus faible de l’album. En fait, l’écoute initiale de ce single nous avait convaincu que les Long Blondes n’étaient qu’un groupe de plus. Etrange choix. Cette impression de baisse de qualité est confirmée par “Madame Ray” et “A Knife For The Girls” qui n’arrivent pas à retrouver les sommets de la face A.
Au final, on a une drôle d’impression. Jusqu’à la septième piste, ce disque est d’une perfection rare (surtout ces temps-ci), avant que des morceaux de remplissage ne fassent leur apparition et parasitent la fin d’album. On peut toujours affirmer que c’est encourageant pour l’avenir mais on commence à avoir l’habitude de ces groupes qui ratent leur deuxième album et ne tiennent jamais leurs belles promesses.
Les Long Blondes ont raté l’occasion de signer un premier album extraordinaire et de marquer leur époque. Someone To Drive You Home est un excellent album, dansant à souhait, traversé de fulgurances magnifiques, blindé de refrains gagnants de textes superbes, c’est déjà pas mal, et peut-être même suffisant pour en faire l’album de l’année.
Tracklisting :
1. Lust In The Movies *
2. Once And Never Again *
3. Only Lovers Left Alive
4. Giddy Stratospheres *
5. In The Company Of Women
6. Heaven Help The New Girl *
7. Separated By Motorways *
8. You Could Have Both *
9. Swallo Tattoo
10. Weekend Without Makeup
11. Madame Ray
12. A Knife For The Girls
Vidéos :
“Giddy Stratospheres”
Vinyle :
Une illustraion de Bonnie Parker version Faye Dunaway réalisée par Kate Kackson elle-même.