(Rough Trade 2008)
Alors qu’on commençait à douter de lui, qu’on se lassait de son attitude désinvolte sur disque, Adam Green revient avec un festin de 20 morceaux (pour 48 minutes de musique au total) au contenu bordélique, éclectique, qui oscille entre foutage de gueule et génie total.
Sixes & Sevens dévoile Adam Green sous toutes ses facettes, de la plus sérieuse à la plus farfelue et nous permet de mieux comprendre ce personnage à part, capable d’écrire les plus belles mélodies et de faire pleurer avec une simple guitare folk, mais aussi incapable de réfréner ses poses de crooner.
Après un Jacket Full Of Danger à l’ambiance rat-pack vite oublié, Green s’était réconcilié avec son public grâce à une tournée acoustique où il délaissait son masque de clown. Le single “Morning After Midnight” a rapidement refroidi les fans aux yeux encore embués par ces concerts introspectifs : accompagné par trois choristes et un big band, Adam Green se prend pour Tom Jones sur un cha-cha-cha un rien pesant*. La pantalonnade du clip (Green qui chante dans sa baignoire, Green habillé en femme, Green avec une perruque blonde, Green qui fait une chorégraphie, etc.) nous laissait envisager le pire… et le meilleur est arrivé.
Sixes & Sevens est un disque décontracté dont la principale influence semble être Kevin Ayers. L’ouverture “Festival Song” en est la preuve frappante : voix doublée, son seventies à l’anglaise, on dirait du Ayers période banana, celui de The Confession Of Dr. Dream. De nombreux morceaux appuient cette vision, comme la superbe “Getting Led”, si proche de “Whatevershebringswesing” que c’en est incroyable, “Sticki Ricki”, qui aurait pu figurer sur Joy Of A Toy ou “You Get So Lucky”, une ballade country à l’accroche immédiate qui séduit avec son arrière-plan coloré de flutes de pan, de trompettes, de sitar et d’un truc qui fait boing-boing (tient-on là le futur feel good hit of the summer ?). On comprend alors la philosophie de ce “Morning After Midnight” qui est en fait proche des morceaux les plus légers du maître (“Day By Day”, “Guru Banana”) : let’s drink some wine and have a good time. Adam Green refuse qu’on le prenne au sérieux.
Cette liberté de ton permet à Green de se frotter à divers styles : “Twee Twee Dee” semble presque disco – comment ne pas penser à “Oh Sexy Thing!” de Hot Chocolate ? –, “That Sounds Like A Pony” est une succession de limericks délivrés en un rap rapide, “Ep.1” marque un retour gagnant aux expérimentations lo-fi des Moldy Peaches, la transe chamanique “Leaky Flask” invoque l’esprit des indiens d’Amérique. S’ils font parfois sourire (comme l’inévitable numéro de crooner de “Broadcast Beach”), ces morceaux donnent une variété et une profondeur inédite à l’album.
En plein coeur
S’il se limitait à toutes ces chansons qu’on vient d’énumérer, Sixes & Sevens serait un album consistant, certes dénué de ligne directrice, mais en de nombreux points meilleur que Jacket Full Of Danger. Or, Sixes & Sevens est un disque à plusieurs visages : parmi les 20 chansons de l’album, la moitié d’entre elles sont des ballades folk et country, délivrées sereinement par un Adam Green sûr de son fait. Les mélodies sont magnifiques, le son idéal. De la décontraction de “Tropical Island”, à la beauté immaculée de “Drowning Head First” (sur laquelle Green évoque le Barrett d'”Effervescing Elephant” avant de chanter en duo avec sa petite amie), Green touche en plein cœur.
“It’s A Fine” est peut-être la plus belle chanson écrite par son auteur, “Homelife” émeut sans tomber dans les clichés, “Grandma, Shirley And Papa” dévoile la face la plus country de Green (de moins en moins urbain dans ses références). On pourrait citer aussi “Bed Of Prayer”, “When A Pretty Face” ou “Rich Kids” comme autant de moments où la poésie et la musique de Green apparaissent limpides.
Certains regretteront que Green ait décidé de ne pas choisir. Sixes & Sevens est un album dans lequel il est difficile de rentrer, qui nécessite de longues écoutes pour qu’on en saisisse l’essence. Oui, Adam Green aurait pu écarter certains de ses morceaux les plus fantaisistes pour obtenir un album d’une quinzaine de chansons plus cohérent, moins bordélique. On y aurait sans doute perdu cette dose d’ineptie qui fait le charme d’Adam Green. Cet album est à son image, il s’agit sans doute de celui qui lui ressemble le plus, à la fois potache et sentimental. C’est son album blanc à lui en quelque sorte : un puits sans fond d’idées et de chansons magnifiques, inégal mais brillant.
*un cha-cha-cha du mou diraient certains
Tracklisting :
1.Festival Song
2.Tropical Island *
3.Cannot Get Sicker
4.That Sounds Like A Pony
5.Morning After Midnight
6.Twee Dee Dee
7.You Get So Lucky *
8.Getting Led *
9.Drowning Head First *
10.Broadcast Beach
11.It’s A Fine *
12.Homelife
13.Be My Man
14.Grandma Shirley And Papa *
15.When A Pretty Face
16.Exp 1 *
17.Leaky Flask
18.Bed Of Prayer
19.Sticky Ricki
20.Rich Kids *
Vinyle :
La thématique de l’album est celle du casino. La pochette de l’album représente une table de jeu, le vignette du disque une roulette.