Film de Cameron Crowe
Le rock, c’est sa grande sœur qui lui a refilé le virus, à William, alors qu’il n’avait que onze ans. Avant de quitter la maison pour cause d’incompatibilité avec une mère (Frances McDormand) étouffante et ultra-protectrice qui ne tolère pas, entre autres choses, cette musique décadente sous son toit, elle laisse sous son lit un sac rempli de disques dont l’écoute, lui écrit-elle, doit lui révéler son futur. Dans le lot figurent Led Zeppelin, Dylan, Bowie, les Who, T-Rex. Quatre ans plus tard, les murs de la chambre de l’adolescent sont tapissés de posters et de photos de rock stars, et William, critique en herbe déjà incroyablement pointu et connaisseur, envoie régulièrement des articles à Rolling Stone dans l’espoir d’être publié. Décelant le talent du petit prodige, Lester Bangs (Philip Seymour Hoffman, excellent, comme d’habitude), prend le gamin sous son aile et lui prodigue de précieux conseils pour faire son chemin dans l’univers impitoyable du journalisme rock. Un jour, le miracle se produit: un papier de William sur un concert de Stillwater plaît au magazine, qui lui propose de couvrir la tournée du groupe. C’est le début d’un périple qui entraînera le wonder kid aux yeux écarquillés aux quatre coins des Etats-Unis.
L’aventure humaine et musicale de l’apprenti journaliste obéit aux codes classiques du processus initiatique. Se détachant de l’emprise maternelle et sortant de l’abri, William s’ouvre aux possibles et découvre un univers fait de libertés parfois dangereuses et de tentantes opportunités, un pan entier du monde évoqué dans les pages de ses revues favorites et avec lequel il entre soudainement en contact. Dans la tradition américaine, l’apprentissage se fait par le mouvement, et l’odyssée de la troupe à travers le pays permet à Cameron Crowe de jouer sur le registre du road movie tout en pénétrant dans l’intimité du groupe. Sur la route, William perd sa virginité, découvre les tourments du sentiment amoureux, s’enivre de la découverte d’horizons nouveaux, goûte aux délices de l’émerveillement quotidien. Les habitants de cette réalité parallèle (musiciens, roadies, groupies, fans), touchés par la passion pure et sincère qui l’anime, se prennent d’affection pour lui, lui donnant l’impression trompeuse d’intégrer une véritable famille. Les scènes dans lesquelles les membres du groupe et les filles qui gravitent autour d’eux cherchent à rassurer sa mère au téléphone ne manquent pas de saveur.
Le cheminement initiatique s’accompagne nécessairement d’une forme de désenchantement, et Presque célèbre n’échappe pas à la règle. Le point de vue de William est celui de l’innocence et de la naïveté. Plongé dans un microcosme qui le fascine et qu’il a une tendance certaine à idéaliser, l’adolescent découvre non sans amertume qu’il y a quelque chose de pourri au royaume du rock, d’où la mesquinerie et la jalousie ne sont guère exclus. Dans les coulisses, le torchon brûle entre Jeff (Jason Lee), le chanteur, attaché à ses prérogatives de frontman, et Russell, le guitariste préféré de ces dames, qui menace constamment de quitter un groupe qui manque d’envergure pour un musicien de son calibre. Fatiguée d’aimer sans retour ce même Russell, qui couche avec elle en tournée avant de regagner les bras de sa femme, Penny (Kate Hudson), reine des band-aids, finit par tenter de se suicider dans la solitude luxueuse de sa suite. La mise entre parenthèses des obligations, l’absence de règles, les libertés creuses, les relations sans lendemain qui n’engagent soi-disant à rien s’avèrent en fait sources de douleur et de mensonge. Les personnages du film ne font que reproduire un schéma social auquel ils pensent ou veulent échapper.
Au bout du compte, paradoxalement, c’est peut-être lui, ce lycéen qui n’avait jamais mis les pieds hors de San Diego, le plus mûr de toute la bande. Malgré les péripéties et l’aspect chaotique de la tournée, William prend très au sérieux la tâche qui lui a été confiée et fait preuve d’un professionnalisme et d’une rigueur qui tranchent avec le n’importe quoi ambiant. Il ne triche pas, le petit, que ce soit dans ce qu’il considère comme un travail à part entière ou dans ses relations à autrui, et notamment à Penny. Du haut de ses quinze piges, il met tout ce petit monde face à ses bassesses, ses rancœurs mal placées, son manque chronique d’honnêteté et de franchise. Comme le comprend Russell lorsque, piégé par Penny, il se retrouve à la fin du film dans la chambre de William (là où tout à commencé) et se voit obligé de lui accorder une interview toujours remise à plus tard, c’est le gamin qui a tout compris. Sans jamais chercher à être cool, il vit son trip avec une intensité toute naturelle et une rafraîchissante authenticité. Quand la corruption et le cynisme menacent et que les fausses stars deviennent des vrais poseurs, les candides se chargent d’entretenir la flamme.
Bande-annonce :