(Probe 1969)
Une fois de plus, PlanetGong accueille un invité pour réparer un de ces grands oublis dont le site est coutumier. C’est ainsi Peter Mermoz Steinhauser qui vient aujourd’hui remettre les pendules à l’heure et rapeller au monde à quel point Soft Machine était un groupe merveilleux. Triste hasard, le gourou banana Kevin Ayers vient de nous quitter alors que nous célébrons ici l’album enregistré peu après son départ du groupe psychédélique-jazzy de Canterbury. Un album culte dont Peter Mermoz Steinhauser nous explique ici la richesse et l’importance .
Volume Two est un album essentiel de Soft Machine, injustement sous-estimé, il souffre d’être coincé entre ces deux pachydermes historiques que sont Volume One et Third.
Le groupe n’a cessé de changer de personnel et de direction musicale au cours de sa carrière. Ici, l’important, c’est le remplacement de Kevin Ayers par Hugh Hopper. A priori, on ne peut imaginer plus opposé au charmant blondinet à voix de baryton que le très lunetteux, très moustachu et (à priori) très sérieux Hugh Hopper. Sauf que Hopper, en dépit de son apparence peu glamour, est un compositeur prolixe et talentueux qui signe (ou co-signe avec Robert Wyatt pour les paroles) à peu près la moitié des 17 titres de cet album de 33 minutes.
L’album se distingue par la place donnée à la basse fuzz de Hopper qui joue riffs et parfois solos, occupant souvent le rôle qui serait celui d’une guitare dans un trio « classique » tandis que Ratledge joue la rythmique au piano. Pour étoffer le son vient s’ajouter le sax de Brian Hopper, grand frérot du précédent, son sax re-recordé se démultiplie mais il n’y a aucun solo jazzy dans cet album comme il y en aura moultement dans Third. La voix unique de Wyatt se fait entendre tout au long du disque. A défaut d’avoir beaucoup composé, Robert chante, murmure et scatte à qui mieux-mieux.
Dans ce disque, la plupart des titres s’enchainent. La première face est intitulée Rivmic Melodies et contient dix pièces. Ce sont presque tous des compos de Hopper, chantées par Wyatt. Les titres sont très courts, les mélodies sont élégantes et les paroles évoquent, tour à tour, Jimi Hendrix dans “Have You Ever Been Green ?” (“Thank you Noel and Mitch, Thank you Jim for our exposure to the crowd”), Mike Ratledge dans “Thank You Pierrot Lunaire” (“In his organ solos, he fills ’round the keyboards, Knowing he must find the noisiest notes for you to hear”) et des questions métaphysiques en espagnol dans “Dada Was Here” (“Es que puedo fumar cuando soy ma viejo?”). Sur “Hibou, Anemone And Bear”, Ratledge se lance dans un solo furieux et forge ce son d’orgue distordu qui le caractérise et deviendra de plus en plus sifflant avec le temps. Brian Hopper se transforme en une mini-section de cuivres à lui tout seul (le groupe a d’ailleurs tourné avec une vraie section de cuivres composée de Lynn Dobson, d’Elton Dean, et des merveilleux Nick Evans et Mark Charig, respectivement tromboniste et cornettiste de leur état). Nulle part ailleurs que dans ces Rivmic Melodies, Soft Machine ne retrouvera cet équilibre parfait mais précaire entre les personnalités qui le composent. La puissance percussive alliée à la grâce vocale de Wyatt, l’inventivité débridée de Hopper, la musicalité jazzifiante de Ratledge se complètent ici comme jamais (Third est, a contrario, la preuve évidente de leur divorce).
Dans la seconde face, Esther’s Nose Job est la pièce maîtresse de Ratledge. Cela commence par une minute de boucan inutile pour enchainer par “Pig”, une composition au tempo rapide emmenée par la batterie et le piano, puis la basse fuzz expose le riff. Quand Wyatt chante le couplet, on est très proche du Volume One. Plus aventureux, “Orange Skin Food” est dominé par une rythmique saccadée : deux notes de sax répétées ad infinitum par Brian Hopper sur le solo étrange de Ratledge, comme une anticipation d’Henry Cow. “A Door Opens And Closes” enchaîné avec “10.30 Returns To The Bedroom” est un cataclysme rythmique dans lequel explosent la fuzz de Hopper, la batterie et la voix de Wyatt. Ratledge ne se met guère en avant, marquant la rythmique au piano électrique.
On ne se quittera pas sans dire un mot du très beau “As Long As He Lies Perfectly Still” consacré à l’ami Kevin (“Here’s a song for ‘clean machine Kevin Majorca'”) et de “Dedicated To You But You Were Not Listening” une très belle chanson de Hopper à la métrique particulièrement complexe, chantée par Wyatt et jouée à la guitare sèche, ce qui est pour le moins inhabituel chez Soft Machine.
S’il fallait chercher les plus proches cousins de ce Soft là, c’est le Frank Zappa de la période Hot Rats auxquels il faudrait penser. On ne parlera pas d’influence puisque les deux disques sont sortis la même année. Mais il est intéressant de noter que, des deux côtés de l’océan, on laboure plus ou moins les mêmes sillons. On peut aussi entendre nos trois compères accompagner Syd Barrett sur deux titres de The Madcap Laughs. Avec ce Volume Two, l’orchestre officiel du collège de pataphysique prenait une direction qui aurait mérité d’être explorée plus avant. Le choix de s’orienter vers un jazz purement instrumental qui s’est imposé dans l’album suivant laisse donc ce Volume Two sans héritier véritable. Dommage, non ?
Tracklisting :
Face A : Rivmic Melodies
1. Pataphysical Introduction – Part I
2. A Concise British Alphabet – Part I
3. Hibou, Anemone and Bear *
4. A Concise British Alphabet – Part II
5. Hulloder *
6. Dada Was Here
7. Thank You Pierrot Lunaire *
8. Have You Ever Bean Green?
9. Pataphysical Introduction – Part II
10. Out of Tunes
Face B : Esther’s Nose Job
1. As Long as He Lies Perfectly Still
2. Dedicated to You But You Weren’t Listening
3. Fire Engine Passing with Bells Clanging
4. Pig *
5. Orange Skin Food
6. A Door Opens and Closes *
7. 10.30 Returns to the Bedroom
Vidéos :
“Hibou, Anemone And Bear”
Vinyle :
L’album a été superbement réédité en 2011 chez Sundazed.