(Third Man 2024)
S’il est bien une chose à laquelle on ne s’attendait pas, c’était bien au retour des Detroit Cobras.
Le décès tragique de Rachel Nagy à l’âge de 48 ans le 15 janvier 2022 a créé un grand émoi dans la communauté garage américaine, mais aussi chez tous les amateurs de musique. Avec sa voix aux voile soyeux et son attitude bravache, elle était l’âme des Detroit Cobras, celle qui sublimait les chansons du groupe. Sa disparition, alors que le groupe s’apprêtait à partir en tournée, a été un drame absolu.
Originaire de Detroit (of course), le groupe s’était construit une belle réputation avec son approche unique qui consistait à reprendre à la sauce garage made in Detroit des titres rock’n’roll et R&B obscurs des années 50-60. Rachel et sa comparse Mary Ramirez avaient monté le groupe en 1994 sur le simple constat qu’elles aiment les mêmes disques et qu’elles avaient envie de les jouer sur scène. Soutenu par les White Stripes qui l’ont emmené en tournée avec eux au moment de leur explosion, le groupe a été un de ceux qui a le plus bénéficié de l’éclairage de Jack White et a mené une belle carrière (avec des chefs d’œuvre tels que Mink, Rat Or Rabbit au passage) avant de se mettre en pause en 2008.
Toutefois, depuis 2015, le groupe s’était montré de nouveau actif, publiant quelques singles chez Third Man et Wild Honey (dont le formidable Feel Good), le tout culminant sur une tournée en Europe, avec en point d’orgue un concert au Gibus à Paris, que tout le monde s’accorde à avoir trouvé catastrophique. Visiblement éméchée au-delà du raisonnable, Rachel s’était montrée hésitante, peu concernée, clairement à côté de ses pompes, révélant ainsi malgré elle la fragilité qu’elle tenait tant à cacher derrière son attitude frondeuse, mais qui transparaissait dans ses chansons.
Après le confinement, le groupe avait prévu de partir en tournée, mais le décès de Rachel une semaine avant le grand départ a évidemment mis fin à l’affaire et, aussi, pensait-on, au groupe. Le 28 août 2022, les musiciens de Detroit ont rendu hommage à leur amie disparue lors d’une soirée intitulée “Rachel Nagy: A Celebration of Life, Love and Leaving” au Magic Stick. Johnny Walker y a joué en compagnie de The Sugar Tradition, tout comme les Compulsive Gamblers de Greg Cartwright, légende de Memphis avec Oblivians et Reigning Sound, et membre occasionnel des Detroit Cobras.
Le groupe lui-même s’est reformé lors de ce concert hommage, avec les suspects habituels (Mary Ramirez, Steve Nawara, Kenny Tudrick) mais aussi et surtout Marcus Durant de Zen Guerilla au chant. L’affaire a tellement plu que le groupe a poursuivi une tournée hommage et sort aujourd’hui, contre toute attente, un EP avec quatre morceaux “inédits” (le terme est entre parenthèses car rien n’est jamais inédit chez les Detroit Cobras.
Que doit-on penser alors de cette nouvelle version des Detroit Cobras ? C’est compliqué. L’ombre de Rachel plane tout au long de ces quatre titres. Reconnaissons-le néanmoins : Marcus Durant est un formidable vocaliste, empli de morgue rock’n’roll et l’affaire est très bien emballée, même si assez générique. Il se démène admirablement bien sur “I’m Alive” de Johnny Thunder mais pêche un peu sur “Feelin‘ In Mah Bones” de Jimmy Lewis et “There’s A Light” de Shirley Ann Lee. Pour faire court, il est meilleur quand le terrain s’approche du rock pur jus que de la soul. Le seul souci, c’est qu’on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’aurait fait Rachel de ces morceaux clairement taillés pour elle. Elle les aurait surement emmenés dans une autre dimension, et c’est pour cela que ce nouveau disque des Detroit Cobras ne peut que décevoir. S’il se veut une célébration de Rachel, il nous montre surtout à quel point elle nous manque, et ô combien les Detroit Cobras n’ont pas vraiment de sens sans sa présence.
Tracklisting
- Right Now
- Feelin‘ In Mah Bones
- I‘m Alive
- There‘s A Light