(Fumm Time Hobby 2018)
Ça y est, le malheur est arrivé. Ceux qui le suivent de près le craignaient, mais espéraient toutefois une autre issue. Jacco Gardner, le petit génie de la pop psychédélique du début des années 2010 a largué les amarres. Tel Alice, il est passé de l’autre côté du miroir et a quitté le monde de la pop pour un autre monde. Celui de la library music et des instrumentaux classieux, celui des geeks amateurs de machines vintage et de l’artisanat du son.
Bref, Jacco Gardner a décidé qu’il ne serait plus un chanteur, ce qui n’est pas une grande surprise pour quiconque l’ayant vu sur scène, mal à l’aise et un peu timide dans le rôle du frontman. Forcément ce choix a quelque chose de décevant pour les amoureux de son premier album qui étaient tombés sous le charme de ses comptines psychédéliques, mais les racines de cette évolution étaient déjà présentes dans son successeur Hypnophobia qui manifestait déjà chez son auteur un désir de s’émanciper de la formule refrain/couplet et de composer des instrumentaux à la saveur électronique.
Somnium est ainsi un disque totalement instrumental, à forte dominante électronique, que Gardner a conçu dans son havre de paix / home studio de Lisbonne où il s’est installée avec sa compagne María Pandiello. Les claviers analogiques y sont ainsi omniprésents, entre nappes de synthé qui viennent tapisser le fond des morceaux comme un souffle de vent, arpèges modulaires qui tournent en boucle. Parfois une guitare acoustique vient appuyer le propos (“Lagrangian Point”), une ligne de basse vient dynamiser l’ensemble (magnifique “Levania”). Sur un titre tel que “Descent”, on en vient même à penser à la library music que Paddy Kingsland composait pour la BBC au milieu des années 60.
Jacco Gardner compose ici la bande originale de ses nuits troublées (dont il avait déjà fait part sur Hypnophopia – littéralement, la peur de dormir), une bande-son onirique, forcément, qui semble provenir d’un autre temps, d’une autre époque. Celle de Tim Blake et Klaus Schulze, magiciens des ondes analogiques qui ont posé les bases de la musique électronique planante dans les années 70 avec leurs disques avant-gardistes. Son disque s’écoute ainsi comme une longue suite apaisante, d’où ressortent quelques mélodies marquantes par endroits. Le titre qui reste en tête de longs moments après l’écoute de cet album reste indubitablement “Volva”, porté par une mélodie lumineuse.
Il est clair que les fans du visage rock et psychédélique de Jacco Gardner vont faire la moue devant cet album atmosphérique. On se souvient d’ailleurs des réactions incrédules du public à un de ses concerts récents où il était entouré de machines diverses et n’était accompagné que de María Pandiello. Ce soir là, le duo avait livré une heure de musique instrumentale tourbillonnante et rêveuse, ne jouant aucun morceau de son répertoire antérieur et suscitant l’incompréhension de la part d’une partie de l’audience. Nous n’en étions pas à un degré de défiance comme celui des amateurs de folk traitant Bob Dylan de “Judas !” au moment de sa réinvention électrique, mais le décalage entre les attentes du public et les intentions de l’artiste étaient béant.
Alors ami rockeur, écoute ce message : dépare-toi de tes aprioris, oublie d’où vient Jacco Gardner et garde tes oreilles ouvertes au changement et à l’audace. Le petit magicien de la pop psychédélique n’est plus, mais son oeuvre n’en est pas moins intéressante quand il se parait de son costume de bidouilleur de synthétiseurs analogiques. Jacco Gardner a changé de vocabulaire, mais sa musique est toujours porteuses de jolies choses. Somnium est un beau disque de pop électronique instrumentale, qui ne nous fera pas oublier “Where Will You Go” ou “Clear The Air”, mais s’écoute sans déplaisir.
Tracklisting
- Rising *
- Volva *
- Lagrangian Point
- Past Navigator
- Levania *
- Eclipse
- Utopos
- Rain
- Privolva
- Pale Blue Dot
- Descent
- Somnium
Vidéo
“Somnium” (live)
“Rising” (live)