(Loog 2007)
On pourrait facilement cracher sur les Horrors. Ces gosses de riches qui sortent leurs tenues de croque-mitaines pour impressionner les kids ont fait la une du NME alors qu’ils venaient à peine de sortir leur premier leur premier single en édition limitée. Hype? C’est forcément dans les pages du NME qu’on a eu vent de ce groupe singulier. Un journaliste y décrivait alors leur tout premier concert. Les Horrors avaient joué l’intégralité de leur répertoire ce soir là, soit 5 chansons, dont deux reprises.
Deux semaines plus tard on avait eu la chance de croiser leur route dans le minuscule sous-sol du Tatty Boggle à Londres, en première partie de Neils Children et Whirlwind Heat – une affiche hallucinante, que seule une cinquantaine de personnes peut se vanter d’avoir vu. En 15 minutes l’affaire était pliée. En plus de leurs premiers originaux (dont “Sheena Is A Parasite”), les Horrors ont envoyé un “Jack The Ripper” dont Screaming Lord Sutch aurait été fier ainsi qu’une version apocalyptique de de “The Witch” des Sonics. On a su à ce moment là qu’on tenait un groupe exceptionnel.
On trouve beaucoup en ce moment, et à Paris en particulier, des dizaines de mecs qui reprennent consciencieusement leur “I Wanna Be Your Dog” en portant les bonnes pompes, les bonnes sapes et des shades fumées. Un peu de gel pour aider la mèche à rester en place sur l’œil gauche et chacun d’eux devient le rebelle ultime. On ne saurait pourtant parler de poseurs à propos d’eux tant ils font pâle figure à côté des Horrors. Tout chez eux est outrancier. Leur apparence confine au ridicule : avec leurs gueules patibulaires, leurs coiffures luxuriantes, leurs tenues ténébreuses mélangeant pantalons squelettiques et gilets victoriens, les Horrors appartiennent au même monde que la famille Adams et Edward Aux Mains D’Argent. On est dans le fantastique, les films d’horreur de la Hammer et l’univers gothique de Tim Burton.
Virtuels? Extrémistes. Faris Rotter et ses ouailles sont un groupe de scène exceptionnel. Ces psychopathes nourris au Cramps proposent un show cryptique qui tourne toujours au chaos, où l’émeute est le but à atteindre, où tous les moyens sont envisagés pour provoquer des réactions violentes – rixes, vandalisme, provocation. Il arrive fréquemment que les Horrors se fassent virer de leur propres concerts. Bien sûr tout cela pourrait être calculé, manufacturé avec une précision clinique et n’être qu’un grand numéro de cirque orchestré pour épouvanter les kids, à la manière de Lordi ou de n’importe quel groupe death.
Un élément vient désarmer cette thèse envisageable : la musique. The Horrors possèdent un son unique. Un croisement cauchemardesque entre The Monks, The Sonics, Lord Sutch et les Trashmen. Les garage-rockers ne devraient pas s’en remettre. Avec Strange House, The Horors se placent dans la lignée directe des fabuleux Eighties Matchbox B-Line Disaster, de Neils Children et des Vile Imbeciles (un trio composé d’ex-membres de ces deux derniers groupes). De cette scène goth-rock à mi-chemin entre psychobilly et new-wave et à l’esthétique inspirée de l’Empire Britannique du 19ème siècle – le Londres de Conan Doyle, Shelley, Stoker et Wilde –, les Horrors sont le groupe le plus basiquement rock’n’roll. Leur premier album est un voyage malsain dans un univers peuplé de fuzz, de farfisa, de cris iguanesques, de batterie binaire et de reverb incontrôlée. Trois minutes, trois accords et un son épouvantable – The Horrors jouent la musique la plus vitale du moment.
La face A du vinyle est juste parfaite. De la version réenregistrée de “Jack The Ripper” à “Little Victories”, le rock abrasif des Horrors explose de créativité et l’orgue omniprésent de Spider Webb (cerveau du groupe et vinyl-junkie notoire) envoute l’auditeur pendant que le guitariste Joshua Third envoie quelques unes des scies les plus mémorables de ces dernières années – “Count In Fives”, “Gloves”, “Little Victories”. Les morceaux de grande classe se succèdent à un rythme effarant.
Le passage à la face B apporte une pause. Le tempo retombe, le disque redémarre par le bad trip “She Is The New Thing” où le zombie de Jim Morrison évadé du Père Lachaise prend place au chant. A l’exception de la fiévreuse “Sheena Is A Parasite”, la seconde partie de l’album repose plus sur des ambiances, cryptiques évidemment. Le groupe déploie sa noirceur au travers de morceaux hypnotiques de plus en plus bizarres, à l’image de “Thunderclaps”, “A Train Roars” et surtout l’étrange instrumental “Gil Sleeping” où on retrouve le côté alchimiste/expérimentaliste des premiers groupes garage sixties.
Pour les possesseurs de l’album en vinyle, Strange House s’achève après 11 morceaux, à la dernière note de “A Train Roars”. La version CD ajoute en morceau caché l’extraordinaire “Death At The Chapel”, le tube ultime du groupe, son véritable chef d’œuvre, une fête garage de deux minutes où le farfisa tournoyant envoie une mélodie déglinguée complètement crétine. Extraordinaire. “Psychotic Sounds For Freaks And Weirdos” est le sous-titre de ce disque exceptionnel. On ne saurait donner meilleur descriptif. Strange House est un album de freaks pour les freaks. Il était temps qu’on s’occupe enfin de nous, merci aux Horrors.
Tracklisting :
1. Jack The Ripper *
2. Count In Fives *
3. Draw Japan
4. Gloves *
5. Excellent Choice
6. Little Victories *
7. She Is The New Thing
8. Sheena Is A Parasite *
9. Thunderclaps
10. Gil Sleeping
11. A Train Roars
12. Death At The Chapel [Bonus Track] *
Vidéos :
“Sheena Is A Parasite”
Les illustrations de la pochette intérieure ont été réalisées par Farris Badwan, étudiant en art à l’époque de la sortie de cet album.