(Domino 2008)
Eté 2007. Après deux succès phénoménaux en tant que leader des Arctic Monkeys, Alex Turner a besoin d’air. Des chansons baroques lui trottent dans l’esprit, et l’envie de faire un album avec son pote Miles Kane se fait sentir.
En trois semaines, les deux larrons, accompagnés du producteur James Ford, ont concocté dans les studios Black Box (près d’Angers, là où les Hushpuppies ont enregistré leurs albums) un disque intemporel, dans lequel les deux musiciens s’affranchissent de leur image indie-rock pour se frotter à une pop ambitieuse. Une prise de risque maximale pour l’icone d’une génération, qui ose le pari de mettre en danger son confort au sein d’un groupe adulé – les fans ne savent jamais sur quel pied danser quand un artiste sort un projet parallèle (cf. les projets divers de Damon Albarn qui ont fini par provoquer l’arrêt de Blur).
La comparaison avec Scott Walker a été évoquée partout dans la presse, et appuyée par les déclarations des deux jeunes gens, ce qui a eu pour but principal de créer une vague de discussions – et de téléchargements – autour de cet artiste peu médiatisé. Si l’ombre de l’énigmatique Walker Brother plane indubitablement sur cet album, tout comme celle de Jean-Claude Vannier ou John Barry, il apparaît qu’une des influences majeures de cet album se trouve plus proche de nous, au 21e siècle à Liverpool en l’occurence : The Coral.
Alex Turner n’a jamais caché que ce groupe l’avait poussé à prendre une guitare pour la première fois, quant au scouse Miles Kane, il suffit d’écouter les singles des Little Flames (son premier groupe qui a splitté avant même de faire un album) ou des Rascals (son groupe actuel) pour comprendre l’importance de ce groupe à ses yeux. Plusieurs morceaux de cet excellent album portent en eux des écoutes répétées de Magic & Medecine, l’album le plus sixties-pop des liverpuldiens et le jeu de guitare de Miles Kane doit manifestement beaucoup à celui de Bill Ryder-Jones. “The Age Of The Understatement”, le premier single qui a décontenancé les fans des Arctic Monkeys, porte le même souffle épique que “Don’t Think You’re The First” avec sa rythmique cavalière, ses violons virevoltants et sa fuzz débridée (qui possède un son similaire à ce que certains fans anglais enthousiastes nomment The Coral sound). D’autres pistes, telles les ballades classieuses “Calm Like You” ou “The Chamber”, pourraient tout aussi bien être chantée par James Skelly (“Secret Kiss” n’est pas loin).
Qu’on ne s’y trompe pas néanmoins, cet album de The Last Shadow Puppets est avant tout un hommage appuyé à un type de pop baroque qui était en vogue au tournant des années 60-70. Si on sent à de nombreuses reprises des accointances avec The Coral, c’est aussi parce qu’à leur instar, Turner et Kane sont une bande de northerners qui écrivent des mélodies imparables et ont un goût prononcé pour les arrangements soyeux. Ceci mis à part, il flotte comme une douce odeur de rétro chic sur ce disque, une atmosphère étrangement intimiste et débridée à la fois. Le duo réussit à recréer certains traits gainsbourgiens sur “My Mistakes Were Made For You”, qui évoque la période anglaise de l’homme à la tête de chou. La plupart des morceaux proposent une ambiance cinématographique et citent pèle-mèle les BO de John Barry et Ennio Morricone – notamment lorsque les violons s’emballent, comme sur “In My Room” ou lorsque l’ambiance tourne au western-spaghetti sur “Separate And Ever Deadly”. Autre témoignage intéressant en matière de références, la présence de “In The Heat Of The Morning” en face B du single “The Age The Understatement” – qui donne une raison valable d’acheter le single en 45t – dévoile une culture musicale pointue en matière de pop symphonique classieuse (ce morceau des débuts de David Bowie reste encore trop méconnu).
Le talent de Turner et Kane est de ne jamais tomber dans la guimauve ni le pastiche raté (ils évitent l’écueil de morceaux cheesy façon “Has Been” de William Shatner), même si une drôle d’impression de copier-coller taraude de temps à autre. Ca sent souvent le déjà entendu. La musique de The Last Shadow Puppets n’est pas originale en grand-chose mais possède de nombreux charmes qui rend l’écoute de The Age Of The Understatement délicieuse. Cet album est tout simplement excellent. Le rythme est palpitant, les arrangements audacieux, les mélodies restent en tête. On ne sait encore si on doit le considérer comme un side-project sans importance, un simple fantasme couché sur bandes, un défi lancé entre potes ou la véritable réhabilitation d’un genre oublié. Quoi qu’il en soit, on passe en compagnie de The Last Shadow Puppets, une demi-heure de grande qualité.
Tracklisting :
01. The Age Of The Understatement
02. Standing Next to Me *
03. Calm Like You
04. Separate and Ever Deadly *
05. The Chamber
06. Only the Truth
07. My Mistakes Were Made for You *
08. Black Plant *
09. I Don’t Like You Any More
10. In My Room
11. The Meeting Place
12. Time Has Come Again
Vidéo :