(Drag City 2015)
Un batteur gringalet pourvu d’un faciès acnéique et fouinard, qui dévoile un torse bardé de tatouages quand il commence à taper trop fort sur son set. Un bassiste mutique caché sous une masse de cheveux gras et noirs de geais, qui ne cesse de headbanger que pour perdre son regard azur dans les profondeurs des salles de concert. Un claviériste chicano qui scrute la foule avec circonspection, un bout d’oreille en moins et l’air complètement ravagé. Au beau milieu de cette bande de freaks un peu flippants, un chanteur aux allures glam, beau gosse et charmeur, accompagne le boucan de ses compères de quelques fredonnements virevoltants et de soli héroïques. Voilà à quoi ressemble Wand en concert, et quiconque a déjà assisté à l’une de leurs représentations pourra en attester : c’est un spectacle mémorable, au cours duquel le quatuor angeleno témoigne d’une maîtrise épatante malgré son attitude déconcertante.
En ce qui nous concerne, c’est lorsque nous avons ainsi découvert le groupe, cet été, que nous avons véritablement commencé à l’apprécier. Nous connaissions déjà sa musique et la trouvions admirable à bien des égards : Ganglion Reef et Golem nous avaient frappé par leur improbable mélange de mélodies aériennes et complexes, rappelant parfois Tame Impala, et d’un son très lourd, héritier du Fuzz de Ty Segall. Mais en dépit de l’admiration qu’elle suscitait chez nous, nous ne parvenions pas à nous impliquer complètement dans sa musique, qui nous laissait une impression de froideur. Était-ce lié à sa virtuosité, qui flirte de temps en temps avec la démonstration ? À un manque de personnalité ?
En effet, le premier réflexe qui survient à l’écoute d’un disque de Wand, c’est de les comparer à l’inévitable Ty Segall : le timbre de voix et le jeu de guitare du leader Cory Hanson affiche des similarités troublantes avec ceux de son mentor, le groupe témoigne d’une volonté identique de masquer ses mélodies pop sous un son bourrin, et il pousse le vice jusqu’à adopter la même hyperactivité, en sortant trois albums en l’espace d’un an ! C’est en outre Segall qui les a lancés dans le grand bain, en sortant leur premier effort sur son label God? Records et en les embarquant avec eux sur ses dernières tournées. Ça fait beaucoup. Aussi, quand bien même nous estimions le groupe, l’impression d’avoir affaire à une énième déclinaison segallienne – bien plus douée, à l’évidence, que de nombreuses autres, mais aussi bien tardive et pâtissant de notre lassitude – nous privait peut-être de l’apprécier à sa juste valeur. On n’avait d’ailleurs pas vraiment cherché à approfondir nos écoutes de leurs disques, survolés d’une oreille satisfaite mais distraite.
Pour mieux appréhender la musique de Wand, il faut aussi savoir que Cory Hanson est un musicien averti, qui a suivi les mêmes cours que Mikal Cronin dans une prestigieuse école de musique californienne et a officié au sein de nombreux autres équipages de la Bay Area (les Meatbodies, together Pangea ou dans le backing band de Cronin, entre autres) avant de fonder son propre groupe. Ce passé est bien sûr lourd de conséquences : la musique du groupe est fille de la scène de San Francisco, et la science musicale de leur leader s’en ressent fortement dans ses compositions, caractérisées par une complexité qui rappelle quelques attelages de prog des années 70. Le quatuor (devenu trio récemment) a donc dû composer avec ces deux données depuis ses débuts : parvenir à transcender leur héritage san-franciscain, et demeurer pop en dépit de leur savoir-faire presque encombrant. Leurs deux premiers disques témoignaient de cette recherche d’identité : Ganglion Reef et Golem sont deux très bons albums, mais qui pâtissent un peu de leur parenté trop évidente avec les albums de leurs amis.
Sur scène, Wand le prouve toutefois sans ambages : il est bien plus qu’un décalque virtuose du saint patron blondinet. Son psychédélisme peut paraître sage et déférent, il est en fait complètement azimuté, limite schizophrène, tiraillé entre les velléités pop de Hanson et la freak attitude de ses copains (on soupçonne d’ailleurs Hanson d’être lui-même un peu siphonné – on ne s’acoquine pas avec pareils tarés sans l’être un peu soi-même, ce que tendent à prouver ses réponses en interviews, toujours un peu à côté de la plaque). Ceci apparaît avec plus de clarté sur leur dernier opus, 1000 Days, que sur leurs deux précédents. Wand a ici l’air de s’être donné une direction propre, et le résultat de cette prise de confiance réduit grandement la distance qu’on gardait vis-à-vis de sa musique. Avec ce nouvel album, il s’émancipe plus sûrement de l’influence de ses aînés et lâche les chevaux.
Il en résulte que 1000 Days oscille constamment entre le sublime pop et le grotesque prog. Il faut l’avouer : le groupe fricote avec le mauvais goût à maintes reprises, en particulier quand Hanson se met à faire des vocalises en falsetto ou que ses soli s’embarquent dans de grandes embardées lyriques – on pense ici, par exemple, aux ponts de « Grave Robber », premier titre fourmillant de mille idées parfois contestables. Il demeure aussi démonstratif, bien souvent, quand les morceaux prennent des tournures un peu trop inattendues et alambiquées pour être honnêtes.
Cependant, ces excès et cette grandiloquence contribuent au charme du groupe, qui a le mérite de prendre des risques et parvient à conférer à sa musique un véritable héroïsme. Bien lui en prend : s’il se plante parfois, sa musique, dans ses meilleurs moments, n’en ressort que plus exaltante et foisonnante. Car Wand est aussi capable de choses qui peuvent difficilement laisser de marbre. D’abord, il marie toujours aussi bien les mélodies chiadées et les ambiances bizarroïdes, souvent sur fond de heavy-rock bien gras (« Lower Order », modèle d’incongruité avec ses multiples détours survenant de toute part) ou de kraut motorik (la jungle synthétique de « Dovetail », qui évoque fortement Tago Mago). « Dungeon Dropper » illustre ce mélange des genres à merveille : un riff de guitare lourd et saturé sinue pendant qu’Hanson chante des paroles cryptiques sur un ton apaisé, avant qu’un solo space-rock n’emballe et conclue le tout de manière fort convaincante. L’alchimie est surprenante, ça marche pourtant du tonnerre : le morceau s’incruste dans le crâne et nous colle aux basques durablement.
Le groupe tutoie aussi, régulièrement, des sommets de beauté évanescente, et témoigne alors d’une profondeur qu’on lui soupçonnait à peine. Ainsi « Stolen Footsteps » qui, en dépit de ses synthés douteux, parvient à envoûter, ou « Passage of the Dream » qui convainc dès son introduction ample et gracieuse. Si l’on ne craignait de recevoir l’opprobre de nos lecteurs exigeants, on parlerait sans fard de féerie et de merveilles. Les trois hommes sont capables de véritables moments d’enchantement et dessinent par instant des mondes luxuriants aux frontières infinies, peuplés de magiciens et de sorciers, de lutins facétieux et de monstres velus (sur fond d’apocalypse, bien sûr)1. Remarquons enfin que le groupe se montre le plus à son avantage quand il donne dans l’économie de moyens : l’émouvante « Morning Rainbow », qui clôt l’album, débute simplement avec Hanson au chant et à la guitare acoustique, se voit augmenté d’un mellotron pour un refrain foudroyant de beauté puis se termine sur un touchant solo de guitare électrique (un peu dégoulinant, certes, mais bienvenu). Que dire enfin de « 1000 Days », titre acoustique de toute beauté et proche de ce que Tyrannosaurus Rex pouvait enfanter de meilleur (« Once Upon The Seas of Abyssinia », au pif) ? Wand y fait preuve d’une très grande douceur, rendue inquiétante par l’histoire que conte Hanson (« Cement boy and cement girl/Walking alone in the sunlight »…). Depuis quand n’avait-on pas entendu pareille pureté mélodique : 30, 40 ans ? On en pleurerait presque.
Pourtant, au moment même où on s’attend à ce que le morceau décolle et nous submerge, il s’achève abruptement sur l’un de ces intermèdes un peu faciles dont nous parlions plus tôt. Quel dommage ! Ce genre de passages, forcément décevants, fait regretter que le trio ne prenne pas le temps de mûrir un peu plus ses morceaux avant de les publier à la va-vite. Néanmoins, nous avons déjà trop fait la fine bouche au cours de cette critique. Répétons-le : si la musique de Wand est pétrie de maladresses, celles-ci sont indissociables de ce qui fait sa valeur (et y participent, même). Aventureux et faisant appel à un imaginaire riche, jusqu’au-boutiste dans son mélange des genres, 1000 Days est un album qui témoigne de la belle progression d’un groupe déjà très prometteur. Et si on est exigeant (bien plus que pour de nombreux autres musiciens, qu’on se contenterait de saluer avec ferveur s’ils nous pondaient un album de ce niveau-là), c’est parce qu’on entend bien que ce qui se passe là sort de l’ordinaire. Reste à savoir si le groupe choisira de s’affirmer par l’esbroufe ou par l’exploitation de talents mélodiques hors normes. Bien entouré comme il l’est, on n’ose toutefois imaginer qu’il emprunte la mauvaise voie.
Tracklisting :
- Grave Robber
- Broken Sun
- Paintings are Dead
- Dungeon Dropper *
- Dovetail
- 1000 Days *
- Lower Order *
- Sleepy Dog
- Stolen Footsteps
- Passage of the Dream
- Little Dream
- Morning Rainbow *
1 Le comité éditorial de PlanetGong tient à s’excuser auprès de son lectorat pour ces excès rédactionnels inexcusables. L’auteur du présent article sera sanctionné.
Vidéo :
“Stolen Footsteps”
“Dungeon Dropper”
“Sleepy Dog”
Vinyle :
L’insert du disque contient les paroles des chansons.