DR COSMO’S TAPE LAB – Beyond The Silver Sea

Délire philosophico-cosmique

(Sugarbush Records 2015)

L’écoute d’un disque du trio écossais Dr Cosmo’s Tape Lab évoque un nombre incalculable de grandes figures de la pop : le Paul McCartney de Ram, les Zombies, les Turtles, Todd Rundgren, Air, Jim Noir ou les Thrills – parmi beaucoup d’autres. Avec tous ceux-là, le groupe originaire de Glasgow partage une sensibilité exacerbée, un goût prononcé pour les harmonies vocales finement ouvragées et le sens de la mélodie qui tue. Ces caractéristiques ont été largement documentées sur trois excellents albums (publiés en moins d’un an !) qu’il convient de découvrir au plus vite.

Malheureusement, la liste de nouveautés à chroniquer de toute urgence sur ce site atteint actuellement des proportions démesurées, et le temps nous manque ; c’est pourquoi nous ne vous parlerons que de Beyond The Silver Sea, le deuxième de ces trois opus sur lequel le groupe, en plus de faire preuve des qualités susmentionnées, part dans un délire philosophico-cosmique particulièrement perché. Beyond The Silver Sea est en effet un album-concept narrant le parcours émancipateur de Max, un personnage plongé dans un futur dystopique où la Raison règne au détriment du rêve, de l’imagination et de la folie. Ne fuyez pas : ici, pas de boursouflures à la Quadrophenia ou à la The Wall. Dr Cosmo’s Tape Lab traite son sujet avec toute l’insouciance et le second degré nécessaires pour ne pas paraître pompeux, rapprochant plus son album du Story Of Simon Simopath de Nirvana que des deux monstres de prétention commis en leur temps par les Who et Pink Floyd.

Il y a d’abord ce narrateur fantasque à l’accent écossais fortement prononcé, cousin lointain de Stanley Unwin (celui d’Ogden’s Nut Gone Flake des Small Faces), qui effectue les transitions entre chaque morceau. L’album débute au son de sa voix : « Once there was a city where everything made sense. » Puis on nous présente Max, ouvrier dans une « Usine à Sens » à qui il ne vient même pas à l’idée que ce qui n’a pas de sens pourrait être digne d’intérêt. La vie de Max se trouve toutefois changée à jamais par un rêve récurrent qui lui donne à voir la Mer d’Argent du titre, symbole d’ailleurs et de non-sens. S’ensuit une histoire alambiquée mais amusante, que le label qui a sorti le disque résume efficacement : « Un voyage épique à travers le temps et l’espace à la recherche de l’amour, de la liberté et de la meilleure Pie Mash & Liquor de l’omni-realité. » Certains détails de l’histoire narrée nous échappent par endroits (une compréhension parfaite de l’écossais nécessite un bac + 12) et l’auditeur ne pipant pas un mot d’anglais risque de se trouver désemparé à l’écoute de ce facétieux narrateur. Peu importe : l’accent écossais est si chantant qu’il en devient pure poésie, et il n’est pas nécessaire de comprendre l’histoire pour apprécier les morceaux – ils se suffisent parfaitement à eux-mêmes.

Les multiples péripéties du récit permettent au groupe d’explorer des registres musicaux très divers : lorsque Max rêve d’ailleurs, il le fait au son de la pop aérienne et enjouée de « City And The Stars » ; lorsqu’il découvre « autre chose », c’est sur fond de power-pop fougueuse (« In Lieu Of Something Better ») ; quand l’amour frappe Max en plein cœur, l’entrain laisse place à la superbe mélopée de « The Mirrors Reflection » qui, avec ses percussions, ses nappes de claviers et sa grandiloquence contrebalancée par un xylophone naïf, rappelle à maints égards le Spiritualized de Ladies and Gentlemen We Are Floating in Space. Un peu plus tard, il vit le grand amour sur « Time Enough For Love », une surprenante et langoureuse bossa-nova aussi réussie que « In The Dark » de The GO, autre morceau du même genre paru il y a quelques années sur le coffret Unreleased 1996-2007. Parmi les autres moments particulièrement marquants, mentionnons enfin « The Painted Birds », chantée avec la candeur d’un Colin Blunstone et qui n’a pas à rougir de la comparaison avec les tubes beat des Zombies pré-Odessey and Oracle, la vaudevillesque « Pie Mash & Liquor » ou bien le freakbeat teigneux de « Dr Chester’s Pleasure », toutes cymbales dehors.

Mais cessons là cette énumération un peu vaine : la liste de très bons morceaux présents sur ce disque est presque aussi longue que son tracklisting. L’album se termine sur la déchirante « Beyond The Silver Sea », dont la dernière phrase, d’une insondable profondeur, ouvre les portes de la dérive cosmique infinie dans l’omni-réalité de l’espace-temps : « Beyond this and anything/Be yourself through everything ». Ça a l’air idiot (et ça l’est un peu, soit), mais à l’heure où la folie déserte un peu la musique qu’on aime, ce précepte est bon à rappeler. Dr Cosmo’s Tape Lab, en dépit de ses influences aisément reconnaissables, s’efforce de le respecter à la lettre, et cet opera-rock naïf, touchant et empli de superbes chansons en est aujourd’hui le plus brillant témoignage.

  

 

Tracklisting :

  1. City And The Stars *
  2. In Lieu Of Something Better
  3. The Mirrors Reflection *
  4. Face Of Another
  5. Time Enough For Love
  6. The Painted Birds *
  7. Pie, Mash & Liquor *
  8. The Storehouse Of Fools
  9. Dr Chester’s Pleasure *
  10. The Stars My Destination
  11. The Long Sleep
  12. Space Dream
  13. Beyond The Silver Sea

L’album est en écoute intégrale sur bandcamp :

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Vidéos :

“City And The Stars”

“Face Of Another”

 

Vinyle :

Dr Cosmo's

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8 Commentaires
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Peter Mermoz Steinhauser (dit "Le Grec")
Invité
Peter Mermoz Steinhauser (dit "Le Grec")
20 septembre 2015 14 h 52 min

Splendide, M. Léo. Chapeau bas pour cette chronique et pour la translation.
Et puis ya même pas de fautes.
En plus.

Pierre Adrien Dubois
Invité
Pierre Adrien Dubois
23 septembre 2015 12 h 27 min

Superbe chronique pour un excellent album ! Je vous conseille d’aller écouter cet album découvert au hasard du web dans un style assez proche de Dr Cosmo’s Tape Lab et en plus c’est un français ! : https://arnoldfish.bandcamp.com/

Eric
Administrateur
25 septembre 2015 11 h 38 min
Répondre à  Pierre Adrien Dubois

Arnold Fish c’est bien plus cinématographique dans l’approche, mais c’est vrai que c’est très bien. Je le rapprocherais plus des Tigres du Futur et d’Orval Carlos Sibelus. C’est justement typiquement français comme disque, avec l’ombre de François de Roubaix qui plane. On en parlera sans doute prochainement !

Pierre Adrien Dubois
Invité
Pierre Adrien Dubois
29 septembre 2015 14 h 42 min

Effectivement, je trouve néanmoins chez Arnold Fish quelques similitudes de style avec the Go et surtout avec RAM de McCartney… En tout cas ces disques tournent en boucle sur ma platine…

Frédéric fugen
Invité
Frédéric fugen
2 octobre 2015 14 h 33 min

Génial de trouver une chronique sur ce super groupe.
Merci à vous.

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