TY SEGALL – First Taste

Solution de continuité

(Drag City 2019)

En 2019, quand sort First Taste, la carrière de Ty Segall semble à la recherche d’un second souffle créatif. Depuis Manipulator, oeuvre-somme qui avait vu son auteur porté aux nues par la critique et le public, Segall cherchait en effet à trouver de nouvelles voies qui s’écartaient de la structure “couplet / refrain / couplet” typique du garage et de la pop qui l’avaient fait connaître.

Emotional Mugger (2016) marquait une première rupture majeure, qui le voyait accorder plus d’importance aux textures sonores et au mix qu’aux mélodies. Sur les deux albums suivants, Ty Segall (2017) et Freedom’s Goblin (2018), il s’adjoignait les services de Steve Albini et du Freedom Band pour donner de l’ampleur à des chansons qui, par instants, se répétaient un peu ou se perdaient en circonvolutions instrumentales. En parallèle, il publiait une cassette de titres instrumentaux (Orange Rainbow, réservée aux fans hardcore) et Fudge Sandwich, un album de reprises grâce auxquelles il retrouvait de la spontanéité qui lui manquait un peu depuis quelques temps.

A travers tous ces disques (et ceux sortis avec White Fence, les GØGGS ou The C.I.A.), Segall cherchait à élargir ses horizons de diverses manières. Mais si la qualité de ses productions demeurait à peu près constante, il ne parvenait plus vraiment à frapper de grands coups comme il le faisait au début de la décennie. Certaines chansons commençaient à sentir la redite, les ficelles d’écriture, fatalement, commençaient à se voir. L’intérêt du public a commencé à décliner, Ty Segall et Freedom’s Goblin se vendant tous deux moins bien que Manipulator malgré leurs ambitions évidentes. C’est également à cette période qu’a commencé à se dessiner une constante dans la discographie de Segall : avec le Freedom Band (Moothart, Cronin et toute la clique), il creusait le sillon le plus classic-rock de sa musique. Seul, il jouait aux sorciers de studio et livrait ses albums les plus personnels et aventureux.

C’est à cette deuxième catégorie de disques qu’appartient First Taste, paru plus de 6 mois après le live Deforming Lobes (une éternité, rendez-vous compte). Cette fois, le fil directeur de l’album consistait à ne pas utiliser de guitare – l’instrument de prédilection de Segall – et à la remplacer par un bouzouki, un koto, une mandoline, des flûtes ou des claviers. On peut y voir, à nouveau, une manière de bousculer ses habitudes, un peu comme King Gizzard le font quand ils décident de n’utiliser que des instruments microtonaux sur un disque entier. L’effet est à moitié réussi : à moins d’être au courant et d’y porter une attention particulière, on ne se rend pas vraiment compte de l’absence de la guitare. Cependant, comme pour Flying Microtonal Banana, la variété des instruments utilisés confère instantanément un côté dépaysant et psychédélique au disque. Elle contribue aussi à débarrasser un peu la musique du Californien des automatismes qu’elle commençait à accumuler.

L’intérêt de First Taste réside en fait moins dans cette contrainte que dans le fait que Segall y a recentré son art sur l’écriture des chansons, en mettant un peu en sourdine les velléités jammesques des précédents albums. First Taste est son album le plus pop et équilibré depuis Manipulator, celui que nous attendions, pour notre part, depuis quelques temps. Plusieurs mélodies figurent ainsi parmi les plus belles qu’il ait écrites ces dernières années (“Ice Plant”, “The Arms”, “Radio”). En prenant en charge la production de l’album, il est en outre arrivé à marier ses expérimentations sur le son (celles d’Emotional Mugger ou d’Orange Goblin) à plusieurs de ses chansons sans que celles-ci en pâtissent : un mille-feuilles de voies en harmonie sur la bouleversante « Ice Plant », un déluge de percussions et de claviers sur “Taste”, une batterie de chaque côté du mix sur les solos de « The Fall »… Quelques titres semblent encore avoir été écrits en mode automatique (“Whatever” ou “I Worship the Dog”, qu’on a l’impression d’avoir entendues 100 fois chez Segall), mais l’instrumentation ingénieuse parvient à leur donner un peu de sang frais.

Avec First Taste, le Californien a donc réussi à concevoir un beau disque de pop psychédélique dans lequel nous retrouvons ce que nous apprécions chez lui : de belles mélodies, des expérimentations sonores barrées et du rock ‘n’ roll débarrassé des quelques scories qui commençaient à nous peser sur ses productions récentes. On relèvera éventuellement un manque de très grands morceaux qui frappent les esprits instantanément (comme « Girlfriend », « You’re The Doctor » ou « Feel » en leur temps, pour n’en citer que quelques-unes). Il n’est toutefois pas certain que cela figurait cette fois-ci parmi les objectifs de Segall, qui nous a prouvé avec cette œuvre solitaire et généreuse qu’il en avait encore sous le pied.

 

 

Tracklisting

  1. Taste*
  2. Whatever
  3. Ice Plant*
  4. The Fall
  5. I Worship The Dog
  6. The Arms*
  7. When I Met My Parents Pt. 1
  8. I Sing Them
  9. When I Met My Parents Pt. 3
  10. Radio*
  11. Self Esteem
  12. Lone Cowboys*

 

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