(Drag City 2018)
Leur premier album ensemble avait été un disque important, un tournant dans la carrière des deux artistes.
Ty Segall et Tim Presley, deux des personnalités les plus créatives de ce qui était alors la bourgeonnante scène garage de San Francisco avaient p roduit ensemble un petit chef-d’oeuvre d’acid-folk moderne. Chacun y dévoilait un visage inédit. Segall sortait de la distorsion garage de Melted et Slaughterhouse. Presley s’y montrait plus structuré que d’ordinaire et brillait par ses contributions guitaristiques.
On a longtemps pensé que cette association ne serait que celle d’un seul album, devenu culte au fil des années (notamment parce qu’il fut pour beaucoup l’introduction à ces deux artistes), d’autant que les compères rechignaient à jouer Hair sur scène. C’est ainsi que l’annonce d’un acte 2 fut accueillie avec enthousiasme : ils allaient enfin jouer ensemble ! Ce qu’ils firent aussitôt d’ailleurs, mais en Californie uniquement, au grand dam des fans européens. Autre réaction : la crainte. On se demandait s’ils allaient pouvoir réussir une deuxième fois le coup parfait. La foudre pouvait-elle frapper deux fois au même endroit ?
La situation de chacun ayant évolué de façon inattendue – Segall en phase jam-rock avec son Freedom Band, Presley en plein déconstruction de sa musique -, on en doutait. Heureusement, Joy prouve brillamment que nos inquiétudes étaient vaines, même s’il nécessite de savoir apprécier le visage le plus expérimental des deux acolytes. On reste dans l’idiome psychédélique façon années soixante, mais là où Hair était mélodique et frais, Joy se veut réfléchi et construit comme une succession de pièces très courtes (parfois moins d’une minute) versées dans l’étrangeté.
C’est parfois frustrant, car on aimerait souvent voir le groupe développer plus ces chansons courtes et interludes, mais le concept de l’album le proscrit. Les chansons sont conçues comme des suites imbriquées. C’est souvent passionnant (une fois qu’on a pris le temps de digérer l’enchaînement de chansons), mais on peut toutefois sur la durée regretter ce zapping un peu frustrant (il y a par exemple plein d’idées sur “Beginning” qu’on aurait aimé voir plus développées). Souvent, ces interludes servent à lancer des morceaux fabuleux, comme ce “Body Behavior” (sous influence Who période Sell Out) mis sur les rails par le riff foudroyant de “Room Connector”.
Joy se présente ainsi comme un disque folk-rock acide, déglingué et volontiers expérimental (surtout en fin de face B). On pense parfois aux Pretty Things de Parachute (“A Nod”), au White Fence des débuts (“Good Boy”), qu’on est heureux de savoir toujours présent dans un recoin de la tête de Presley. Parmi les moments les plus marquants de l’album, “Please Don’t Leave This Town”, ballade acide traversée d’échos de guitare, évoque à la fois le Q65 d’Afghanistan et Skip Spence.
Le seul reproche qu’on pourrait faire à cet excellent album, c’est son côté glauque, son absence de joie, justement. Tout ici est sombre, tortueux, rien n’est gai, enlevé ou triomphant. Certains passages sont même carrément anxiogènes (le duo “Grin Without Smile” / “Other Way”) et il faut attendre “Do Your Hair” – clin d’oeil à l’album précédent, bien évidemment – en fin d’album pour trouver de la lumière. C’est cette absence d’étincelle qui fait qu’on lui préfère son prédécesseur (question de goût peut-être), mais, une fois n’est pas coutume, la reformation d’un gang culte n’accouche pas d’une déception, bien au contraire.
Tracklisting
- Beginning
- Please Don’t Leave This Town *
- Room Connector
- Body Behavior *
- Good Boy
- Hey Joel, Where You Going With That?
- Rock Flute
- A Nod
- Grin Without Smile
- Other Way
- Prettiest Dog
- Do Your Hair *
- She Is Gold
- Tommy’s Place
- My Friend