(Burger Records 2010)
Lorsque The GO – groupe très apprécié en ces pages, est-il vraiment nécessaire de le préciser ? – a annoncé sa séparation en 2009, la déception fut immense. Cette triste nouvelle était néanmoins accompagnée d’une information intrigante : les trois membres inamovibles du groupe (le batteur Mark Fellis et le duo de chanteurs/guitaristes Bobby Harlow/John Krautner) venaient de monter un nouvel ensemble nommé Conspiracy Of Owls1.
Rapidement, un MySpace apparut, avec de nombreux morceaux en ligne dont le single “Ancient Robots”, bluette à l’emballage seventies typique de Krautner, entre bubblegum et easy-listening. Malgré cette bonne surprise, l’inquiétude pesait. Le son de synthétiseur inhabituel du morceau indiquait une direction étrange pour le groupe, d’autant que les autres pistes disponibles sur MySpace, errances planantes sans but ni mélodie laissaient craindre que l’album à venir soit un monstre expérimental au son 80s difficile à digérer.
Il n’en est heureusement rien. Comme “Ancient Robots” le laissait présager, Conspiracy Of Owls est un groupe de pop-rock aux contours seventies, dans un genre pré-disco aux synthétiseurs kitschissimes assez éloigné de ce que The GO pouvait produire. The GO a toujours été un groupe de rock’n’roll, malgré ses mues fréquentes, du monstre garage de Whatcha Doin’ et Free Electricity, au glam de The GO jusqu’à l’emballage sixties de Howl On The Haunted Beat You Ride. Conspiracy Of Owls est un groupe éhontément pop, à la fois bubblegum et glam, parfois même disco et soft-rock.
Si la base du groupe reste celle des trois membres historiques de The GO, Conspiracy Of Owls contient d’autres musiciens illustres de la scène de Detroit, à commencer par Steve Nawara et “Magic” Jake Culkowski – respectivement guitariste et bassiste des Detroit Cobras – et Adam Cox de The Octopus au claviers. La dynamique du groupe tourne néanmoins autour du duo Krautner / Harlow dont l’écriture est plus que jamais identifiable. On avait déjà perçu chez Krautner un amour de la sunshine pop et du bubblegum sur Howl On The Haunted Beat You Ride (“Invisible Friends”, “So Long Johnny”, “Mary Ann”), une impression confirmée par les singles qui suivirent (“Christmas On the Moon” et “Knock Knock Banana”). Dans Conspiracy Of Owls, Krautner envoie de nombreuses chansons au mélodies délicieusement bubblegum et aux textes teintés de nostalgie. On trouve ainsi “Tower Of Diamonds” (une réflexion sur l’enfance qui évoque les drive-ins et les salles d’arcade de jadis et possède le solo de trompette le plus drôle de l’année), la superbe “Ancient Robots”, “Three” et “The New Me”, plus romantique.
De son côté, Harlow apporte de la gravité à l’album, un peu à l’image d’un Lennon venant casser la jovialité de Paul McCartney. Avec leur production riche (Bobby Harlow a enregistré l’album dans son propre studio), ses morceaux se démarquent par leur esthétique travaillée, en particulier ce son de synthétiseur douloureux à première écoute. C’est particulièrement audible lors des intros des morceaux qu’il chante, comme sur “Puzzle People”, “A Silver Song” et surtout “The Lesson”, particulièrement grandiloquente. Avec le temps on est venu à adorer ce morceau, parce que les musiciens ne se prennent pas trop au sérieux – il n’y a qu’à voir leurs dégaines sur scène avec leurs bandeaux et leurs vestes en jean sans manches –, parce que la batterie de Fellis y est plus funky que jamais, que la ligne de basse y est délicieusement disco et surtout parce que la mélodie est fantastique.
Sans surprise, Harlow chante ici quelques morceaux sonnent comme du GO pur jus, telle “Raving Mad” qui possède un solo de guitare en ouverture qui ravira les amateurs de “Yer Stoned Italian Cowboy” ainsi que “Let The Siren Go”, glam remuant qui rappelle “Hey Linda” de l’album éponyme du groupe. Son influence la plus importante sur cet album porte néanmoins sur les passages les plus calmes, généralement composés au piano et chargés d’une mélancolie qui tranche avec l’esprit enjoué de son compère. “No Hero”, avec sa mélodie planante qui évoque “Fat Old Sun” de Pink Floyd, montre le chanteur en plein doute. Plus forte encore, “A Silver Song” achève l’album de façon magique. Le temps paraît en suspension lorsque Harlow chante lors du fabuleux refrain “You open your heart, and I drift right through / Like the Moon come from behind the clouds / Shining down upon upon the world“. Une mélopée onirique qui clôt l’album de façon parfaite et ne cesse de nous hanter depuis.
Bien sur notre avis est biaisé, parce qu’on aime ces musiciens de façon immodérée. Conspiracy Of Owls nous emmènent dans des territoires où on n’aurait jamais eu envie de s’aventurer, c’est là tout leur génie, tout leur talent. Alors que 2010 était à présent l’année des retours en demi-teinte – 22-20s, The Coral –, ceux qu’on attendait le plus n’ont pas déçu, malgré un parti pris sonique surprenant de prime abord. Bobby Harlow et John Krautner comptent parmi les meilleurs auteurs-compositeurs des dix dernières années, cet album ouvre de la meilleure des façons le nouveau chapitre de leur passionnante discographie. Conspiracy Of Owls est notre nouveau groupe préféré.
Tracklisting :
- Puzzle People
- Tower Of Diamonds *
- The Lesson *
- Ancient Robots *
- Raving Mad
- Let The Sirens Go
- No Hero *
- Three
- The New Me
- A Silver Song *
Vidéo :
“Ancient Robots” : John Krautner évoque dans cette vidéo toute la nostalgie de son enfance : salles d’arcade, bandanas, t-shirt sans manches des Michigan Panthers (équipe de football américain disparue dans les années 80). L’album vinyle qu’il répare est celui de The Innocence, groupe de sunshine pop des années 60.
Vinyle :
L’album est sorti initialement en édition limitée avec un hibou menaçant sur la pochette.
La deuxième version du vinyle contient un feuillet avec les textes des morceaux et une pochette qui brille dans l’obscurité.
L’album est aussi sorti en cassette en février 2011, avec deux titres bonus.
1 Le nom du groupe fait référence à une chanson du même nom de Robert Pollard (chanteur de Guided By Voices, une influence revendiquée), qui faisait elle-même allusion à une théorie du complot maçonnique. Le hibou serait en effet un symbole des francs-maçons, on peut en distinguer trois sur le billet de un dollar, et les conspirationnistes se plaisent à faire remarquer que le tracé des chemins entourant le Capitole à Washington rappelle étrangement l’animal).