La première partie de cette ambitieuse liste (que personne ne se rappellera sans en trembler d’horreur) nous avait permis de passer en revue quelques-uns des pires albums sortis cette année par de vieilles barbes, par des vétérans plus ou moins glorieux de l’aventure rock’n’roll, et par Bernard Lavilliers (pour des raisons qui demeurent inexpliquées).
Il ne faudrait cependant taxer PlanetGong d’un anti-troisième-âgisme primaire. Ce serait une erreur de penser que nous aurions oublié une triste réalité : la plupart des disques publiés par de soi-disant nouveaux artistes sont très mauvais, et que les artistes annoncés comme porteurs d’un quelconque « renouveau du rock » ne sont le plus souvent rien d’autres que des produits survendus et désespérément vides.
Episode 2 – The young dirty bastards |
Arcade Fire – The Suburbs
Au moment où on écrit ces lignes, cet album figure au sommet des tops albums 2010 dans tous les magazines/sites web/organes de presse cherchant à “capter l’air du temps”. Comme ses deux prédécesseurs, The Suburbs est célébré de toutes parts, et comme ses prédécesseurs, The Suburbs nous ennuie au plus au point. Pas de snobisme chez nous ou de tentative de rechercher le contre-pied à tout prix : on l’a écouté jusqu’à l’écoeurement (et on a bien mis un mois à s’en remettre). En dehors de quelques morceaux bien écrits (dont le titre éponyme, superbe), la pop ronflante des canadiens nous assomme avec ses arrangements pesants et ce chant braillard insupportable. Encore un qu’on n’a pas compris…
Belle & Sebastian – Write About Love
La carrière de Belle & Sebastian est faite de hauts et de bas. Leurs trois premiers albums ont fait d’eux un des groupes majeurs de la scène indé britannique, avant un premier passage à vide au tournant du siècle (période coïncidant avec le départ d’Isobel Campbell). Un changement de label et une approche plus audacieuse avait permis au groupe de revenir en grâce en 2002 avec Dear Catastrophe Waitress, dernier vrai bon album du groupe. On en dira pas autant de Write About Love, album plastique à la production saccharinée au-delà du raisonnable, à l’ambiance easy-listening gluante, aux mélodies laborieuses et où Nora Jones vient cachetonner l’espace de quelques morceaux (ne riez pas, ses passages sont les meilleurs de l’album). On a du mal à croire que le groupe qui joue ici est celui qui interprétait “The State I’m In” il y a 15 ans.
Black Mountain – Wilderness Heart
Qu’est-il arrivé aux Canadiens de Black Mountain depuis la sortie de leur précédent album, In The Future (sorti en 2008) ? La réponse est malheureusement classique : l’inspiration s’est tarie, et le groupe tente de faire comme si de rien n’était, et enregistre toujours de grandes pistes à l’instrumentation luxuriante, entrecoupées de ballades (« Radian Hearts », « Buried by the Blues », « The Space of your Mind »). Le groupe a perdu la formule qui faisait de ses précédents morceaux des aventures sonores passionnantes qui puisaient allègrement leur inspiration ce que le son du début des années 1970 avait donné de meilleur. Le problème est que, dans le cas des musiques ambitieuses comme celle que prétend jouer Black Mountain, la longueur des morceaux et la débauche d’énergie et de moyens rendent plus douloureuse encore la pauvreté mélodique (« Let Spirits Ride »). Wilderness Heart n’est pas un disque ignoble, mais il n’en reste pas moins largement inutile.
Eels – Tomorrow Morning
En publiant son troisième album en moins d’un an avec Tomorrow Morning, E a fini par avoir la peau de ses fans les plus ardents qui peinent aujourd’hui à le suivre dans son misérabilisme pop. Aux thèmes récurrents de la solitude et du désamour, E ajoute désormais une écriture formulaïque dénuée de surprises. Les mélodies sont attendues (“Spectacular Girl”), “After The Earthquake”), et à l’exception de quelques synthés aussi hideux qu’inédits, tout ici a déjà été entendu – en mieux – dans l’œuvre du barbu misanthrope.
Fistful Of Mercy – As I Call You Down
Au gré d’une invitation, on a eu le malheur de les voir donner un concert affligeant de vacuité en fin d’année 2010. Fistful Of Mercy est un “super groupe” formé du folkeux Joseph Arthur, de l’icône bobo Ben Harper et du clone de son père Dhani Harrison. Sans doute influencés par une soirée arrosée à écouter America en surfant sur le forum PlanetGong, ces trois comparses ont décidé de composer et d’enregistrer un album en trois jours. A l’issue de cette énorme biture, neuf morceaux dont le monde n’avait pas vraiment besoin ont été couchés sur bandes et on révélé l’horrible réalité de ces séances : sur fond de guitares espagnoles et d’harmonies mollassonnes, le trio tente de lancer un revival soft-rock avec pour objectif de conquérir le monde en commençant par les ménagères de moins de 50 ans. Le projet de folk-rock harmonique à la Crosby, Stills & Nash s’apparente plus à un concours de gémissements qu’à un véritable groupe. Un morceau s’intitule “I Don’t Want To Waste Your Time”. Quelle blague.
Brandon Flowers – Flamingo
Pour ceux qui auraient la chance de ne pas connaître ce nom, Brandon Flowers est le chanteur des Killers. Pour ceux qui auraient le bonheur de ne pas connaître ce groupe, les Killers sont un de ces groupes hideux qui perpétuent la tradition du lyrisme bon marché, de la pop racoleuse à violons, de l’utilisation outrancière du falsetto, de la batterie synthétisée affligeante. Il va de soi qu’une telle combinaison est entourée d’une production savante et d’un appareil promotionnel qui assurent une couverture médiatique délirante. Lorsque le chanteur de ce groupe sort son premier album solo, on s’attend au pire : on est en-deçà de la réalité. Quatorze pistes et près d’une heure de soupe sonore qui fatiguerait un sourd. Difficile de sortir une piste de ce disque, tant le niveau est uniformément bas ici… Peut-être « Jitted Lovers & Broken Hearts », qui semble encore plus remarquablement moche que les morceaux qui l’entourent.
Interpol – Interpol
Il y a neuf ans, le groupe new-yorkais de Paul Banks faisait sensation au milieu de la vague rock’n’roll en proposant une musique largement influencée par le mouvement post-punk, en particulier par Joy Division, qui semble avoir été le seul dont disposait Interpol au moment de l’enregistrement de Turn On The Bright Lights. Ce premier album avait déjà largement divisé les opinions quant à sa pertinence et son inspiration, mais avait été des plus grands succès de la scène rock de 2002. Cette année, alors qu’Interpol sort son quatrième album et que la vague de hype est redescendue, que reste-t-il à sauver du groupe ? Malheureusement, pas grand-chose : les synthétiseurs se multiplient (« Memory Serves »), les instrumentations changent (« Summer Well »), mais sans faire oublier l’absence d’un seul morceau marquant. L’écoute d’Interpol est encore plus monotone et pénible qu’on ne le craignait. Ultime déception, l’annonce du départ du charismatique Carlos Dengler, bassiste à la mèche aussi stricte que ses costumes de scène, a été officialisée peu après l’enregistrement de cet album.
LCD Soundsystem– This Is Happening
Le groupe LCD Soundsystem a cette année sorti son troisième album, qu’il a présenté comme le dernier de sa discographie. Si nous n’avions pas évoqué ce groupe sur PlanetGong, c’est qu’il ne peut pas précisément être classé dans la catégorie rock’n’roll. Cette formation joue de la musique électronique avant tout, et leurs deux précédents albums, LCD Soundsystem et Sound of Silver étaient inspirés et contenaient de vrais bons morceaux. Sur ce nouveau disque, le groupe montre qu’il est toujours capable de surprendre et de jouer de la musique intéressante aux influences krautrock rassurantes (l’intro de « Dance Yrself Clean », celle de « One Touch »), mais la formule semble usée et ce This Is Happening souffre d’un cruel manque d’inspiration : difficile d’écouter l’intégralité de cet album sans soupirer… A l’image de plusieurs de ses pistes (« Pow Pow », «You wanted a hit », « Someone is calling me » par exemple), This Is Happening est trop long et constitue le premier raté dans la carrière d’un groupe qui nous avait habitué à mieux.
Surfer Blood– Astro Coast
Parmi les dizaines de groupes lo-fi qui ont sorti un album en 2010, Surfer Blood est celui qu’un grand label vient de signer (Warner en l’occurence). Pas de surprise à cela : si l’emballage est lo-fi, les morceaux du groupe semblent taillés pour les stades. “Swim” et son riff à la “Sweet Jane”, “Take It Easy” avec ses rythmes crétins à la Vampire Weekend, “Twin Peaks” et son refrain braillard en mode quiet/loud. Rien de foncièrement mauvais mais rien de passionnant non plus : la plupart des morceaux de Surfer Blood sont assez inoffensifs pour passer sur les ondes et les plateaux télé. On a entendu tellement mieux cette année qu’on passera notre tour poliment. Cet album a le mérite de rappeler quelques évidences qu’on aurait pu oublier : 1. un son lo-fi n’est pas forcément gage de qualité. 2. on finit par se lasser de la reverb.
Syd Matters – Brotherocean
2010 fut l’année du quatrième album du groupe français Syd Matters, qui avait publié avec A Whisper And A Sigh un premier disque prometteur (en 2003). Quelques années plus tard, il n’est pas particulièrement agréable de constater que ce groupe n’a pas su dépasser le statut d’espoir, ni confirmer les possibilités que son premier album laissait entrevoir. Le style de prédilection de Syd Matters, la pop contemplative semi-acoustique, est un exercice excessivement difficile : comme c’est le cas pour la plupart des groupes au fil des années, l’inventivité et la pertinence des morceaux semblent s’être peu à peu estompées. Brotherocean n’a rien de honteux, mais souffre toutefois d’un manque d’inspiration global : les pistes forment un ensemble ouaté, un fond sonore qui peut accompagner n’importe quelle activité quotidienne, mais qui passe mal le test d’une écoute attentive ; les chœurs soignés et la maîtrise de production n’ont jamais suffi pour faire un grand album, et qu’en ce qui nous concerne, Brotherocean est l’exemple archétypal d’un disque moyen, bien réalisé, qui s’écoute sans déplaisir, mais qui sera malheureusement rapidement oublié.
Petit condensé des albums chroniqués plus haut :