Episode 1 – Le retour des morts-vivants |
A toutes celles et tous ceux qui, admirateurs ou non des artistes ci-dessous, auraient en tête quelques-unes de leurs productions passées, voici quelques précisions liminaires. Il n’y a rien de glorieux, d’aventureux ou de remarquable à enregistrer un disque, en particulier lorsque l’on est un artiste reconnu. La plupart du temps, il s’agit d’entretenir l’intérêt d’un public déjà acquis, et de renflouer les caisses. Lorsque ces disques sont vantés avant même d’être écoutés, au nom d’un respect plus ou moins légitimé par les œuvres précédentes de leurs auteurs, l’aspect commercial de l’entreprise éclate d’une clarté douloureuse. PlanetGong vous encourage à exercer votre sens critique et à rehausser vos exigences.
Eric Clapton – Clapton
Qu’attend-on en 2010 d’un album d’Eric Clapton ? Existe-t-il encore des morceaux du répertoire du blues du début du 20ème siècle qu’il n’a pas perverti ? Chaque nouvel album apporte son lot de reprises inutiles, comme si le guitariste préféré des séxagénaires se faisait un devoir de rendre la musique des pionniers compatibles aux salons de thé et aux comédies romantiques hollywoodiennes. Nul doute que Clapton a un amour profond pour cette musique, mais par pitié, qu’il cesse de sortir des albums de reprises. Le pire dans l’histoire, c’est que ce disque est plutôt bien produit et qu’il possède un son très correct (ce qui n’a pas toujours été le cas dans la discographie de Clapton). Cela ne remet pas en cause le fait qu’on s’y ennuie ferme et que le train de sénateur adopté par Clapton y est sans doute pour quelque chose. Outre la douzaine de blues sans âme, l’album contient une reprise en anglais des “Feuilles Mortes”, mètre-étalon des artistes vieillissants à court d’inspiration.
Ray Davies – See My Friends
Ray Davies est un génie, c’est entendu. Sa qualité d’écriture et de composition est l’une des plus marquantes de l’histoire de la musique pop du XXe siècle, et les Kinks sont un groupe dont l’influence indispensable ne sera jamais trop répétée. Cela étant posé, l’intérêt d’un disque de reprises de chansons écrites par Ray Davies n’est pas évident : Ray Davies réinterprète lui-même quelques-uns de ses morceaux, accompagné de ses nouveaux “amis”, le tout avec la bénédiction d’Universal. Alors qu’un rapide coup d’œil à la liste de chansons permet de constater l’absence de morceaux géniaux, l’écoute de ce disque est un exercice de masochisme fortement déconseillé : il commence avec une version de « Better Things » enregistrée avec Bruce Springsteen (qui est malheureusement venu avec son groupe au son infâme). Deuxième piste, « Celluloid Heroes », avec… Jon Bon Jovi et Richie Sambora,dont j’ai appris le nom, mais qui a déjà sévi en tant que guitariste au sein du groupe (justement honni) Bon Jovi. La relecture de « You Really Got Me » de Metallica tente de rester proche de la version originale : évidemment, quand on porte des pantalons comme ceux de membres de Metallica, il faut absolument prouver sa virilité par tous les moyens possibles : la batterie est donc plus agressive, le solo de guitare plus long, le chant plus braillard, et la chanson beaucoup moins bonne que la version des Kinks. La présence sur See My Friends de noms plus estimés (Alex Chilton, Black Francis) n’apporte rien d’intéressant ; celui qui s’en tire le mieux reste le géant belge Arno, dont le chant répond à celui de Davies sur « Moments ».
Bryan Ferry – Olympia
A l’inverse des autres croulants de la sélection ci-présente, Bryan Ferry essaie encore d’aller de l’avant avec son dernier album. Pour ce faire, il s’est associé à une cohorte de jeunes talents prometteurs : David Gilmour, Brian Eno, Phil Manzanera, Dave Stewart d’Eurythmics, Nile Rodgers de Chic… qu’il a encadré des artistes les plus avant-gardistes des années 2000, j’ai nommé les Scissor Sisters et Flea des Red Hot Chili Peppers (qui semble avoir un contrat l’obligeant à jouer sur tous les albums où le mot “featuring” apparait). De cette dream team naît un album synthétique presque new age qui n’a pour seul mérite que d’être composé de morceaux originaux : au moins Ferry n’y massacre aucun classique comme sur ses précédents albums (le souvenir de Dylanesque nous hante encore).
Bernard Lavilliers – Causes perdues et musiques tropicales
Si certains se demandent encore ce qu’est le rock’n’roll, nous pouvons affirmer ceci afin de faire progresser le débat : le rock’n’roll, ce n’est pas Bernard Lavilliers. Nous pourrions également évoquer la qualité de ses textes et son pauvre intérêt poétique, mais ce point-là n’est pas le nôtre. Le point important est que Lavilliers est devenu un produit caractéristique de son époque, qui l’a vu être influencé par de nombreux styles musicaux, depuis la chanson réaliste jusqu’aux ignobles variétés world-music aux condescendants accents tiers-mondistes. Nous ne savons rien de l’hypothétique sincérité du chanteur forézien ; en revanche, nous savons que l’écoute de son nouvel album nous fut d’un mortel ennui. La voix profonde de Lavilliers se promène sur des rythmiques exotiques et des accompagnements chaloupés, pour un résultat aussi dépaysant et instructif qu’un séjour tout confort dans Club Méd au bout du monde. A écouter cependant, « Je cours », un grand n’importe quoi de quatre minutes et demie sur lequel l’aventurier en marcel scande (avec une conviction à peine caricaturale) ses paroles, accompagné d’une musique funky pleine de cuivres.
Santana – Guitar Heaven : The Greatest Guitar Classics Of All Time
L’année 2010 aura été particulièrement funeste en matière de disparition rock stars. Du coup les maisons de disques paniquent et cherchent à capitaliser à tout prix sur les derniers grands noms encore en activité en sortant des compilations qui n’ont comme seul intérêt qu’à alimenter le tiroir-caisse. A l’instar de Ray Davies, Santana est ainsi sorti de sa pré-retraite sous l’impulsion de son label qui l’a placé en studio avec des loups plus ou moins jeunes avec comme projet de reprendre les “greatest guitar classics of all time“. Le résultat est conforme à nos attentes : un groupe de session-men gros-cul associés à une horde de chanteurs beuglards autotunés livrent un karaoke d’une médiocrité à toute épreuve. De “In-A-Gadda-Da-Vidda” à “Sunshine Of Your Love” et “Smoke On The Water”, tous les morceaux sont vidés de leur substance avec une redoutable efficacité. La palme revient à “While My Guitar Gently Weeps” violé par une paire de chanteuses RnB sur des arrangements UMP. Et Santana dans l’histoire ? Il semble spectateur de son propre disque, joue sans conviction, et ne semble servir que de prête-nom. Son style si irritant d’ordinaire semble lui aussi aseptisé par ce projet sans âme. Même pas de quoi rire.
Ronnie Wood – I Feel Like Playing
Il est un peu facile de médire de Ron Wood : une réputation d’alcoolique solidement établie, participation au projet qui vit mourir les Small Faces, une arrivée officialisée au sein des Rolling Stones en 1976… On laisse trop souvent de côté ses premiers faits d’armes, au sein de The Creation et aux côtés de Jeff Beck. Cependant, au moment de chroniquer son septième album solo, il est extrêmement difficile de ne pas médire de Ron Wood. Le disque sonne exactement comme ce à quoi on s’attendait : du blues-rock mou sans mélodie marquante : une rythmique empesée, une voix rocailleuse sans charme, des ballades bluesy capables de propager l’imbécile idée reçue selon laquelle le blues, ce serait toujours la même chose. On en vient presque à regretter l’inexistence de Dieu, car Ron Wood et Clapton (entre autres) mériteraient de payer le mal qu’ils ont fait à cette musique. Il serait cependant injuste d’affirmer que Ron Wood ne peut jouer rien d’autre que « Thing about you », pathétique blues-rock à la papa : il est aussi capable d’enregistrer des morceaux de reggae parfaitement inutiles (« Sweeetness my Weakness ») et des ballades plus déprimantes par leur pauvreté d’inspiration et leur production ciblée pour les routiers texans que pour la puissance évocatrice de leurs paroles (« I Gotta see »).
Neil Young – Le Noise
Assisté de Daniel Lanois (un producteur qui aime bien travailler avec les vieux artistes, généralement), Neil Young a sorti cette année un album stupidement nommé Le Noise en référence au producteur. Young a toujours eu beaucoup de qualités que ses contemporains n’ont pas, et n’auront jamais ; son album possède des moments poignants de sincérité : la voix de Neil Young, reconnaissable entre toutes, mais aussi le fait que le disque laisse une part importante à des riffs de guitare chaleureux et judicieusement peu dégrossis. L’ensemble est malheureusement le plus souvent noyé dans un halo d’écho (la voix, les guitares), les quelques effets sonores apportés par Lanois ne font aucun bien aux compositions, et certaines fins de chansons semblent posées par hasard, en dépit du bon sens. Précision nécessaire : certes, ce disque n’est pas un grand album, mais il n’est en aucun cas honteux, et les fans de Neil Young devraient même pouvoir y trouver leur compte, puisque leur idole livre sur Le Noise quelques nouvelles ballades de belle facture, « Love and War » et « Peaceful Valley Boulevard ».
Petit condensé des albums chroniqués plus haut :
La suite demain !