Dans les caveaux du Fuzz :
Seconds couteaux et perles de série B
En France, on n’a pas l’accent tonique anglo-saxon, mais on a des poètes: c’est déjà ça. Il n’est pas question de remettre ici sur le tapis la question houleuse et ô combien passionnante et électrique des rapports entre la musique d’Eddie Cochran, du Diable et de Timmy Lampinen d’une part, avec d’autre part la patrie de Chateaubriand, de Lucas Trouble et du camembert. La question centrale demeure celle de la langue: Vaugelas peut-il twister ? Des Chats et Chaussettes d’hier aux Dadds ou Fleurs de Bach aujourd’hui, en passant par Thiéfaine ou Guerre Froide, ils furent nombreux à résoudre le problème. Mais pour l’heure, penchons-nous plutôt sur le difficile et âpre sujet de la période dingue des alentours 1969-71. Pour beaucoup, cette date emblématise la Fin des Haricots: dehors la rigolade, place au blues-rock gibsonno-marshallien. Count Five assassiné par Ten Years After et ELP. On sait désormais que cette vision réductrice nous a longtemps dissimulé le continent souterrain heavy psych (étiquette commode où ranger à peu près n’importe quoi, du hard rock le plus joyeusement inavouable, au prog le plus tolkieniste).
Ce à quoi l’on n’a pas encore prêté encore assez d’attention, c’est que sur notre sol même, dans le sillage de Soft Machine, Gong ou Melmoth, plein de chevelus trois-quart gauchos, la tête farcie de surréalisme et de Maldoror, de lutte des classes et de chabichou, attendaient leur heure. C’est ainsi que des théories de poètes situationnistes décoiffés puants des pieds se sont mis à choper les premières guitares venues et à faire un boucan bizarroïde. Certains parlaient kobaïen et faisaient zeulh sur eux sans respect du qu’en-dira-t-on. D’autres démontraient que la heavy-pop pouvait pousser en climat pompidolien. Enfin, d’autres encore montaient des trucs sans queue ni tête qui encore aujourd’hui ne ressemblent à pas grand chose de connu. Il va sans dire que tous, dans les grandes largeurs, conchiaient Guy Lux et le Grand Capital. La démarche était furieusement contestaire, la pop music formait l’avant-garde culturelle d’un monde nouveau. Dans les MJC, il fallait vite signer le manifeste du FLIP (Front de Libération Internationale de la Pop). On lisait Foucault à grands coups de Signifiant, en se cachant dans les rhizomes tandis que hurlait le métal. Les groupes portaient des noms terribles : Fille Qui Mousse, Art Zoyd, Tac Poum Système, Crium Delirium, Zoo, Dynastie Crisis, Barricade I (Crève Vite Charogne), Ame Son, Komintern, Red Noise…
D’Hector à Super Freego, les Français, en dépit de leur réputation tenace de pays quasi le moins rock’n’roll au monde, avec leur bagage humaniste ont toujours eu une approche littéraire et pataphysique de la musique binaire. Qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, au moins ça a donné autre chose que du Foreigner ou du Kansas. L’historiographie contemporaine post-internet a rendu des hommages successifs et légitimes, quoique tardifs, au twist gaulois, au punk 77 et à la cold-wave marnaise. Rendons désormais justice au prog… pardon, “prog” est un gros mot, disons plutôt à l’Avant-Gardisme Surréaliste Aventureux franchouille, entre heavy-glam tourangeau et free-jazz spatial rimbaldien.