Rockab’ anglais à la veille des Beatles, mod-freak en 66, costume glammeux avant tout le monde, féru de Troggs et Kinks au milieu des pachydermes symphonistes et autres pompiers hippies, artilleur pub et punk dès 74, puis revivaliste du garage puriste à l’époque funeste des Smashing Pumpkins : il y a des gens, assez rares, qui ont tout juste.
S’il est bien un héros oublié du rock’n’roll, c’est Jesse Hector. Nécessairement, personne ne parle jamais de lui. Depuis son rock’n’roll trio et les psych-mod The Clique (cf. Rubble), il a pourtant joué dans une ribambelle de groupes (en général nommés à partir des substantifs « gorilla » ou « crash »).
Par-delà ses multiples incarnations, le trajet de Jesse Hector, excellent et chaleureux chanteur, est marqué par une profonde et admirable cohérence : nous parlons non pas son intimidante paire de favoris roux, mais bien de son culte du rock’n’roll le plus basique qui soit, musique pour taper du pied et gigoter comme un abruti fini dans les rades miteux. Nulle fioriture, mais riffs nerveux et incandescence sonique, mais guitares tendues et goût impeccable fondamentalement mod et plus largement soul, rock’n’roll, rythm & blues.
Alors on s’étonnera peut-être de le voir rangé ici au rayon glam : qu’est-ce que ce routier buriné et exigeant a à voir avec tous les crétins à paillettes qui font notre délectation ? C’est qu’en dehors de ses fantaisies costumières, bien aussi terrorisantes que celles de Slade et The Sweet, Jesse Hector a pavé la route à toute cette génération, en rappelant l’essentiel : la brute simplicité du riff. Car telle est notre thèse : l’essence du glam est d’associer à une théâtralité exubérante, le primitivisme rock’n’roll le plus crasseux. (Prétexte bancal, certes, mais l’important est de causer de bons morcifs méconnus, alors enchaînons gaiement.)
En 69, avec le power trio de néanderthaliens high energy Crushed Butler, Jesse Hector a fait peur à tout le monde, et en premier lieu à son label. Le groupe donne des concerts brillants, évolue et change trente-six fois de noms, mais a le temps de marquer par son allure les futurs glammeux, puis devient les Hammersmith Gorillas, assénant en 1974 une fort massive reprise de « You Really Got Me », prélude magistral au grand retour aux fondamentaux opéré par la génération pub-punk. Passage remarqué au fameux festival de Mont-de-Marsan en 76. C’est sous le nom réduit de Gorillas que le premier vrai album sort, avec sa pochette incroyable, enfin ! en 1978 – ce qu’on ne qualifiera pas de performance carriériste.
Écouter le clinquant « She’s My Gal » convaincra n’importe qui de cette évidence – mille fois plus intéressant que les absurdes vieilles rocks stars de masse, les Jagger et Bowie, produits de synthèse techno-marchands dénués de sens depuis longtemps, Jesse Hector, toujours actif dans les années 90, incarne à merveille la dignité pérenne de ces soldats inconnus qui jouent le seul et unique rock’n’roll, celui de Hank Williams, de Cochran et des Cramps.
« God bless everybody. How will I ever forget : Elvis Presley, Eddie Cochran, Buddy Hollly, Brian Jones, Marc Bolan, Jimi Hendrix. » (Jesse Hector, “Message To The World”, 1978.)
Vidéos :
The Gorillas : « She’s My Girl »
A écouter :
Encore mieux que l’album recommandable des Gorillas, la compile Gorilla Garage donne un large aperçu chronologique des multiples ouvrages du glorieux porteur de favoris. Paru en 2005 chez RPM, c’est dire si le son est rutilant.