Quiconque a déambulé par nos vide-greniers dominicaux, n’aura pas manqué les piles de 45 tours écornés d’une certaine Suzi Quatro, compressés entre un Clayderman et un Anarchic System. Vestiges maculés d’un éphémère succès.
Souvent, les gens de goût n’apprécient pas Suzi Quatro plus que ça. Il est permis de s’interroger.
Il est vrai: sa vilaine voix de tête a vite fait d’irriter, surtout quand elle braille plus que de raison sur des refrains colossaux. Ses ouvrages alignent les tics de l’époque (normal, c’est signé Chinn-Chapman) : production sans finesse, vocaux métallisés comme d’une mégère s’époumonnant casquée d’un aquarium en fer-blanc, grosses guitares et format hymnique pour taper dans les mains… C’est de l’artillerie lourde, taillée pour passer la rampe et cartonner en stade. De là cette impressionnante quinzaine de tubes, datés et caricaturaux. Demi-icône kitsch, elle n’est plus citée par les encyclopédistes que pour son influence de fille de poigne sur les riot girls à venir, sur Joan Jett surtout. Les puristes préfèrent (on ne saurait leur en vouloir) son garage girl band de jeunesse à Detroit, les Pleasure Seekers, et l’infernal « What a way to die ». Voilà tout. Sans parler de son destin de has been précoce, vouée aux circuits classic rock pour camionneuse usée.
« Daytona Demon » pourrait nous aider à débarbouiller les clichés. « Can The Can » ferait aussi bien l’affaire, ou surtout « 48 Crash », son meilleur titre ? Mais « Daytona Demon » bouscule d’entrée l’auditeur par un cri terrible suivi de halètements confus, annonce de festivités tigrées. Il y a du volcanique là-dedans. Diablement sexy, les coups de caisse claire ultra-agressive et le tapis de perles funky au piano électrique forment un parfait écrin syncopé pour la performance pressée et touchante de la sincère Suzy. Il faut voir cette freluquette aux joues roses, bardée de cuir des pieds à la tête, pagayer avec une basse plus grande qu’elle et criailler de tout son petit coeur un hard rock primaire et joyeux, pendant que turbine sous ses ordres un gang de malabars dociles et patibulaires.
Par ailleurs, est-elle glam? Elle, elle ne voulait pas en entendre parler. Son gros boogie américain protestait hautement n’entretenir aucun rapport avec ces tripotées d’extra-terrestres anglais zebrés, sexuellement louches. Les rockeurs durs de durs qu’elle recrutait pour l’accompagner auraient flanqué la frousse à Manowar. Conception philosophique certes simpliste, mais cadrant à merveille avec la perspective adoptée dans nos pages: en matière de glam, de quoi parlons-nous d’autre que d’un rock’n’roll grossier pour mômes en-dessous de cinq ans, affublé de paillettes horripilantes, produits commerciaux honteux qui prennent rétrospectivement une saveur imprévue. Loin de toute prétention artistique, les tubes de Suzi Q. illustrent toute une époque de plaisirs innocents et régressifs dont nous avons aujourd’hui gros appétit.
Vidéos :
« Daytona Demon »
À écouter :
Suzi Quatro se collectionne en format 45 tours. (Vérifer les dates. Ne pas trop s’aventurer au-delà de 1975.) Les toqués de notre acabit, les peu impartiaux, retiendront ses deux premiers lp, mnémotechniquement peu complexes: « Suzi Quatro » et « Quatro ». Ils y trouveront entre des reprises de standards balloches mais plaisantes (« I Wanna Be your Man », «All Shook Up») et des funk-rock distendus, mid-tempos parfois poussifs car très marqués seventies (« Skin Tight Skin », « Official Suburbian Superman »), leur ration de bons morceaux.