Comment la décennie 1970 allait-elle se passer pour les Who ? Le groupe le plus bruyant d’Angleterre pendant les années soixante, qui avait laissé pendant quelque temps les attributs mods de leurs débuts pour adopter la mode psychédélique (comme le monde entier en 1967, et la France en 1975), devait se renouveler. Après le succès de l’ambitieux Tommy – dont on ne rappellera jamais assez qu’il n’est pas le meilleur album du groupe (cf. par exemple The Who Sell Out), les Who sont passés au rang de superstars. Ayant compris – il n’avait pas le choix – que son groupe était dépassé sur le plan du volume sonore par des nouveaux venus comme Led Zeppelin, Townshend décida alors de faire évoluer le son du groupe, pour bâtir un nouveau projet pharaonique, qui aurait pour nom Lifehouse. Ce projet ne verra pas le jour, mais le changement opéré pendant cette période a été radical. Le disque qui sort est intitulé Who’s Next, possède une belle pochette qui montre le groupe qui vient de se soulager sur un monolithe (qui ressemble singulièrement à celui de 2001, l’odyssée de l’espace). Au niveau musical, en revanche, le résultat est catastrophique.
Les Who allaient en effet, sinon l’inventer, porter le rock gros cul 1 à des niveaux insoupçonnés. “The Song Is Over” est parfaite pour illustrer ce style, honni entre tous. Un morceau long, beaucoup trop long, avec tous les éléments réunis pour en faire un prototype de ce genre. Entwistle essaye bien de relancer la machine par des lignes de basse venues d’ailleurs, mais la partie est perdue : piano et claviers divers noient celui qui était l’un des meilleurs bassistes de l’histoire du rock. Keith Moon, phénoménal batteur, a droit à dix secondes de solo en fin de chanson, après avoir labouré pendant 6 minutes. Sur “Getting in Tune”, le jeu d’Entwistle (le seul des Who à sauver sur ce disque) est une fois de plus perdu sous une mélasse sonore – voix de Daltrey, piano, solos de guitares absolument insupportables. “Behind Blue Eyes” tente de renouer avec un style plus délicat, avec des chœurs soignés, un arpège de guitare acoustique, et une basse (une nouvelle fois) rassérénante. Tout se passe bien jusqu’à l’arrivée de la guitare électrique, et le passage de Daltrey en mode “je chante avec mes amygdales », qui ruine la ballade qui avait commencé.
Le piano et les claviers sont omniprésents sur tout l’album, souvent pour introduire les morceaux (“Getting In Tune”, “Baba O’Riley”). Après un premier couplet chanté sur ce rythme modéré, la cavalerie arrive et achève le morceau, qui devient une caricature de chanson rock. Possédant un chanteur parfait dans le rôle du braillard de service – costaud, blond, beau gosse, yeux bleus, chaîne et croix en or autour du cou, les Who allaient en effet devoir faire bouger leur public qui s’agrandissait sans cesse. Pour les plus indulgents – dont je fais partie -, “Baba O’Riley” est sauvé par l’arrivée de la partie de violon en fin de morceau.
“Going Mobile” est tellement mauvais que cela en devient aberrant. Si quelqu’un aime ce morceau pseudo country-rock aux solos de claviers et de guitares affligeants de racolage, merci de me contacter. Concernant “Bargain”, pas la peine de chercher des arguments, l’écoute du morceau devrait suffire à convaincre que le groupe était en pleine déliquescence. L’arrivée de Townshend au chant (après deux minutes) est apaisante, mais malheureusement, Daltrey revient rapidement. Au second degré toutefois, les trompettes de “My Wife” sont géniales.
Par contre, la meilleure chose de l’interminable “Won’t Get Fooled Again” reste sans conteste la pochette du 45 tours. Ce morceau fait partie de ceux que l’on a entendu tellement de fois qu’on en oublie s’il est bon ou mauvais, qu’on n’a pas entendu depuis dix ans, et qu’on redécouvre par hasard, affligé. Huit minutes trente d’une vague musique rythmée, où les artifices utilisés servent de cache-misère à un vide sidéral et sidérant… Daltrey gueule à loisir, Townshend enchaîne ses solos avec complaisance. Où est passé le groupe qui jouait des morceaux comme “My Generation”, “Boris The Spider”, “Sylas Stingy” quelques années plus tôt ?
Prétention, suffisance, et consommations de produits divers2 ont eu raison du talent de Townshend et de son prodigieux groupe. Pourtant, pour les Who, le pire était encore à venir…
Liste des chansons :
1.Baba O’Riley *
2.Bargain
3.Love ain’t for keeping
4.My Wife
5.Song is over
6.Getting in tune
7.Going Mobile
8.Behind Blue Eyes
9.Won’t get fooled again
1 Le rock gros cul est la plupart du temps une variante du rock, du hard-rock, mais parfois aussi du boogie-rock, qui guette encore actuellement tous les groupes de rock du monde. Parmi ceux qui ont sorti des bons albums mais qui sont tombés du côté du rock gros cul, citons Deep Purple, Status Quo, Led Zeppelin. Et Black Sabbath, alors, me demandez-vous ? Oui, eux aussi… Mais dans ce cas précis, c’est plus métal gros cul.
2 Voila un excellent slogan : “PlanetGong : prétention, suffisance et consommation de produits divers“.