(Warner 2009)
C’est avec une vraie gourmandise et une légère appréhension qu’on s’est lancé pour la première fois dans l’écoute de The Resistance de Muse. Il faut dire qu’on attendait cet album avec une certaine impatience. Le précédent Black Holes & Revelations nous avait estomaqués par son côté pompier décomplexé et l’air grave emprunté par le groupe au moment de balancer ses morceaux aussi comiques que prétentieux. Matthew Bellamy, véritable Eric Idle du rock moderne, était en 2006 le chanteur le plus drôle de la planète.
Malheureusement pour lui, en 2008 est sorti Slipway Fires de Razorlight qui a vu Johnny Borrell reprendre avec panache sa couronne de chanteur con avec ses chansons larmoyantes et ses clips spirituels à base d’allumettes. Si on a bien ri, cela semble avoir fâché Matthew Bellamy – pas habitué à voir son trône vaciller – qui a décidé de remettre les pendules à l’heure.
Très vite l’idée d’un concept album a été lancée, histoire de s’assurer une certaine inanité. Quelqu’un a suggéré de couper les morceaux en plusieurs parties et de leur donner des titres évoquant ceux de Jean-Michel Jarre (comme “Exogenesis : Symphony Part 3 : Cross-pollination”), toujours une valeur sûre. Un autre a invité le reste du groupe à se plonger dans l’écoute des groupes les plus effroyables de la fin des années 70, tandis que Bellamy a promis de remettre le nez dans ses partitions de piano classique. A l’unanimité, le glam outré de Queen, le prog baveux de Yes et Emerson, Lake & Palmer ont ainsi été retenus pour enrichir le son du groupe. Pour bien finir le boulot, le groupe a engagé un orchestre de 40 musiciens pour jouer une mini-symphonie inspirée des compositeurs préférés de Bellamy. Gare à toi, Johnny Borrell !
La grande question qu’on se pose avant l’écoute de The Resistance, c’est “L’album sera-t-il à la démesure du single “United States Of Eurasia” ?». Pour mémoire, ce morceau délirant poussait Muse dans ses derniers retranchements en termes de n’importe quoi : ouverture au piano puis couplet calqués sur “We Are The Champions” de Queen (avec chœurs, violons, son de guitare baveux à la Brian May, chant affecté en surrégime), passage arabisant façon Lawrence d’Arabie, refrain braillard à la “Flash Gordon” (Queen encore), le tout saupoudré de paroles débiles. Sur la version album, le coup de grâce est porté en fin de morceau, par un passage nommé “Collateral Damage” où le groupe colle de façon incongrue rien moins que la Nocturne n°2 en Mi bémol majeur de Chopin (ah! les joies de la musique classique libre de droits…).
Le reste de l’album est à la hauteur de nos espérances. L’ouverture “Uprising” réjouit par son jeu de guitare dégoulinant et un premier refrain digne de “Maréchal nous voila” : “Weeeeee will beeeee victoooooooooooooooorious »), “Resistance” multiplie la surenchère et montre que Muse a définitivement abandonné toute idée de bon goût, chose que confirme “Undisclosed Desires” à l’intro-RnB risible, sorte de croisement horrifique entre Usher et U2. L’album est incroyablement varié et démontre le talent de Muse pour pervertir tous les genres musicaux.
Sur la ballade gros-cul “Guiding Light”, Bellamy s’épuise en solos pyrotechniques pour masquer le vide de son morceau. Dans un registre plus rapide, Muse est aussi divertissant : “Unnatural Selection” ouvre sur un orgue d’église avant de partir dans un riff de guitare tournoyant proche de celui de “New Born”, le morceau devient alors très lourd (dans tous les sens du terme) mais prend l’auditeur à contre-pied par un ralentissement soudain qui permet à Bellamy de s’adonner à sa pratique favorite : s’époumoner dans son micro. Après une nouvelle accélération en fin de morceau, on est à genoux. Pendant 6 minutes, Muse a encore repoussé les limites du rock épique en le portant à sa limite ultime : le non-sens total. La structure en trois parties n’a aucune ligne directrice autre que la démonstration vaine. A trop vouloir en faire des tonnes, le groupe atteint une sorte de dimension parallèle. Un cauchemar pour mélomanes que le rocker amusé trouvera beaucoup plus drôle que n’importe quel sketch de Gad Elmaleh ou Florence Foresti.
Fidèle à lui-même, le groupe n’oublie pas d’en rajouter une couche dans la foulée avec “MK Ultra” (moins sympathique néanmoins) avant ce “I Belong To You / Mon Cœur S’ouvre A Toi” de cabaret que d’aucuns qualifieraient de pouet-pouet. Après un démarrage primesautier, le groupe refait son spécial – le ralentissement en milieu de morceau – et enchaîne avec panache sur un passage larmoyant (violons, piano façon Clayderman) chanté en français. Ce qui est rassurant avec Bellamy, c’est qu’il n’a peur de rien, et surtout pas du ridicule. L’entendre chanter dans une langue que manifestement il ne maîtrise pas est un délice[1].
La fin de l’album voit le groupe se lancer dans son pari le plus osé : une mini-symphonie en trois actes nommée “Exogenesis”. La première partie “Overture” commence comme une musique de film, avec un côté romantique façon Dvorak, et se termine par une pulsation de basse et un chant en falsetto. La deuxième partie, “Cross-pollination”, lorgne du côté du Rhapsody in Blue de Gerschwin en intro et en fin de morceau. Ceci mis à part, le morceau reste une ballade au piano très classique qu’un inévitable contingent de pompier vient ébranler. On y retrouve des solos de guitare à la Brian May avec un certain plaisir, mais les festivités ne durent pas, et Muse revient à ses aspirations classiques pour la troisième partie “Redemption” qui évoque pèle-mêle la “Sonate au clair de lune” de Beethoven et Chopin, encore. Le morceau se termine dans un dernier pastiche de Queen et des violons sanglotants. Le chef d’œuvre comique du groupe ? Oui et non. Si le morceau est aberrant de A à Z, son côté calme et le fait qu’il cite autant de morceaux classiques le rendent un peu stérile. Muse sont plus drôles quand ils jouent le panache de la surenchère idiote, ici ils ressemblent à des étudiants en musicologie qui présentent un projet de fin de cursus et leurs copies de morceaux classiques sont trop larmoyantes pour qu’on trouve matière à rire.
Quoi qu’il arrive, Muse auront marqué l’année 2009 de ce The Resistance flamboyant, imaginatif et incroyablement mauvais. On ne peut qu’admirer l’opiniâtreté de Muse qui s’aventurent toujours plus vers une musique surchargée et superficielle. Ils auraient tort de changer : plus ils en rajoutent, plus leur contingent de fans grandit. Là où ils sont très forts, c’est que leurs disques sont tellement mauvais qu’ils en deviennent des chefs d’œuvres d’humour involontaire. Il nous est ainsi arrivé d’écouter “United States Of Eurasia” un soir de déprime pour retrouver le sourire. C’est plus efficace qu’un antidépresseur et ça ne comporte aucun risque pour la santé. C’est pour cette raison précise qu’on ne peut classer ce disque parmi les “Disques à jeter par la fenêtre” : il a des vertus thérapeutiques.
Tracklisting :
- Uprising
- Resistance
- Undisclosed desires
- United states of Eurasia (+ Collateral damage)
- Guiding light
- Unnatural selection
- MK-Ultra
- I belong to you (+ Mon cœur s’ouvre à ta voix)
- Exogenesis: Symphony part I (Overture)
- Exogenesis: Symphony part II (Cross pollination)
- Exogenesis: Symphony part III (Redemption)
Vidéos :
“United States Of Eurasia”
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p style=”text-align: justify;”>[1] Officiellement, il chante “Ah! Réponds, Réponds à ma tendresse, Verse-moi, verse-moi l’ivresse! » mais on ne comprend pas grand-chose la première fois. Une fois qu’on sait ce qu’il chante, on comprend plutôt “Wi-ponz a ma tendwezeu … veursé moi livouess ».