(titre original en VO : “This Is Spinal Tap”)
Film de Rob Reiner (Quand Harry rencontre Sally, Stand by me) sorti sur les écrans américains en 1984, Spinal Tap est un brillant exercice parodique qui tourne en dérision tous les travers des documentaires rock classiques tout en se moquant allègrement de la vulgarité de certaines formations de hard rock gros cul que l’on reconnaît facilement derrière les traits des trois principaux protagonistes. Suivant la fausse tournée d’un faux groupe anglais ringard, le faux « rockumentaire » offre une alternance réjouissante d’interviews drolatiques, de scènes de concerts et de moments d’intimité aussi pathétiques que bidonnants. Après des albums inoubliables tels que « Intravenus de Milo » ou « Shark Sandwich », Spinal Tap espère se relancer avec la sortie de son nouvel opus « Smell Like Glove », mais le périple américain s’avère évidemment désastreux. Après moultes annulations et contretemps, l’inénarrable quintet se retrouve à assurer l’animation musicale d’une après-midi dansante dans une base militaire aérienne et s’essaie au jazz expérimental au beau milieu d’un parc d’attractions.
Hilarant d’un bout à l’autre et truffé de détails justes et finement observés, le film concentre les stéréotypes et joue avec réussite la carte de la surenchère dans l’exagération. Tous les ingrédients habituels sont présents (la copine du chanteur qui met son grain de sel et attise les tensions, le manager incompétent dépassé par les événements, le patron de maison de disques au patronyme à rallonge incarné par Patrick McNee himself) et le trait toujours forcé, mais le choix de la caricature s’avère payant. Tout ici est jubilatoirement too much: le faux accent British des acteurs américains, les accoutrements improbables et le maquillage outré des phénomènes (qui n’hésitent pas à glisser un concombre dans leur futale moulant), les solos insupportables, la grossièreté des paroles des chansons, la basse double manche du bassiste fumeur de pipe. Pour rentrer dans les canons de la mythologie rock, Spinal Tap a bien entendu perdu certains de ses anciens membres dans de mystérieuses circonstances, et une inquiétante malédiction plane sur les batteurs, victimes d’étranges accidents de jardinage et de combustions spontanées. L’un deux est même mort étouffé dans le vomi de quelqu’un d’autre. Disparus Brian Jones, Jim Morrison, Eddie Cochran, Buddy Holly…
Le rire naît également du décalage entre le mauvais goût du groupe et ses aberrantes prétentions artistiques. Frisant la débilité mentale, Nigel dit travailler sur un trilogie en ré mineur au piano sobrement intitulée « Suck On My Love Pump » et se réclame en toute simplicité des influences de Bach et Mozart (clin d’oeil prémonitoire à Matthew Bellamy ?). David entretient le projet d’enregistrer un album acoustique avec l’orchestre philarmonique de Londres et se voit comparé par son bassiste aux poètes Byron et Shelley. Dans un élan de mysticisme new age à deux balles, ces génies de la mise en scène décident même de se lancer dans une tentative de reconstitution du site de Stonehenge pour au bout du compte jouer entourés de dolmens miniatures autour desquels s’agitent des nains déguisés en trolls. Par l’absurde, le film pointe du doigt une forme de grandiloquence criarde, pour ne pas dire de mégalomanie, et le recours à l’extravagance délirante, poudre aux yeux jetée à la face du public pour faire publier la pauvreté des compositions et l’absence de projet musical cohérent. Rappelons au passage que le groupe est apparu pour la première fois lors de la première partie du Freddie Mercury Tribute.
Reiner pousse le réalisme jusqu’à inclure des extraits plus vrais que nature d’apparitions télévisées de Spinal Tap datées des années 60, montrant la période rhythm and blues du groupe puis sa transition (opportuniste?) vers le psychédélisme. A cela s’ajoute le fait que Michael McKean (David), Christopher Guest (Nigel) et Harry Shearer (Derek) sont tous trois de véritables musiciens qui jouent réellement de leurs instruments respectifs. Devenu culte, Spinal Tap s’est produit au Royal Albert Hall en 1992, dans la foulée de l’enregistrement de son seul et unique album, « Break Like The Wind ». Ce moment d’histoire, dans lequel se rejoignent fiction et réalité, figure dans le coffret DVD sorti en 2003, ainsi que la bande originale du film et l’album. On ne saurait que trop conseiller l’acquisition de la chose.
La bande-annonce du film :