(Mercury; 1975)
Cet album, aujourd’hui largement oublié, est pourtant un disque important dans la discographie de Serge Gainsbourg, qui est sorti un an avant L’homme à la tête de chou, son dernier grand disque (avant son inégale période reggae, puis la vaste pantalonnade qui caractérise l’essentiel de sa production pendant les années 1980).
Rock Around The Bunker est un concept-album bâti autour de l’Allemagne nazie. Les titres des morceaux sont extraordinaires de provocation et de mauvais goût, de « Nazi Rock » à « SS in Uruguay ». Gainsbourg, fils d’émigrés russes juifs, enregistre ici le premier album d’extrême-droite, et utilise des thèmes et une imagerie inédite (deux ans avant les premiers punks, dont certains vont arborer les insignes des officiers nazis de la seconde guerre mondiale). Devenu un artiste populaire (en particulier grâce aux chansons qu’il a composées pour d’autres interprètes), celui qui a dû porter l’étoile jaune pendant l’occupation va utiliser et détourner l’iconographie nazie sur dix chansons.
Sur ce disque, Gainsbourg se libère définitivement des contraintes d’écriture : ses textes sont bourrés d’approximation « J’entends des voix off qui me disent ‘‘Adolf, tu cours à la catastrophe’’, mais je me dis ‘‘Bof ! Tout ça c’est du bluff’’ » (« J’entends des voix off »). Il semble se délecter de remplir ses textes d’allitérations et d’assonances : toujours sur la même chanson, il s’élance dans des suites délirantes : « Vieux Chnock / Pauv’ Cloche / P’tit Shmock / Faux Derche / Grosses Miches / Pauvr’ Cruche / Baudruche / D’Autriche ». Sur « Est-ce Est-ce si bon », cet exercice de style devient systématique : « Sont-ce ces insensés assassins ? / Est-ce ainsi qu’assassins s’associent ? / Si, c’est depuis l’Anschluss que sucent / Ces sangsues le juif Suss ».
Plus loin, sur d’autres morceaux, comme « Nazi Rock » et « Tata Teutonne », Gainsbourg mêle l’imagerie et l’histoire nazie aux tableaux les plus grotesques : «Voici venir la nuit des longs couteaux / Enfilez vos bas noirs les gars / Ajustez bien vos accroche-bas / Vos porte-jarretelles et vos corsets. » Dans ce disque, le burlesque des styles (musique et paroles) et la coexistence de textes triviaux désamorcent l’aspect tragique et glauque du sujet de l’album. Le groupe qui l’entoure est solide : le son est caractéristique de l’époque ; ce disque a été enregistré à Londres, et évoque des sujets et une imagerie assez fréquents au milieu des années soixante-dix (notamment The Rocky Horror Picture Show, mais aussi les albums de Bowie – Low, Station To Station et Heroes).
Sur des thèmes musicaux variés, Gainsbourg offre aussi un véritable récital d’accents aberrants : une caricature d’accent français lorsqu’il chante en anglais la reprise de « Smoke Gets In Your Eyes » (la chanson préférée d’Eva Braun), vaguement hispanique sur « S.S. in Uruguay », il se positionne en officier nazi expatrié ; « Il y a des couillon(ne)s / qui parlent d’extradition(ne)… / Mais pour moi, pas question(ne) / de payer l’addition(ne) ». A sa sortie, Rock Around The Bunker est censuré par les stations de radio françaises : une fois de plus, les ventes de cet album sont confidentielles, avant que pendant les années 1980, Gainsbourg ne touche définitivement le grand public, et que ce disque ne soit vendu à plus grande échelle.
Liste des chansons :
1. Nazi Rock *
2. Tata Teutonne
3. J’entends Des Voix Off
4. Eva
5. Smoke Gets In Your Eyes
6. Zig Zig avec Toi
7. Est-ce Est-ce Si Bon?
8. Yellow Star
9. Rock Around The Bunker *
10. S.S. In Uruguay *
Vidéo :
“Nazi Rock”
Vinyle :