(XL 2009)
On l’a déjà raconté, on les a découverts en janvier 2006 dans un pub souterrain de Londres nommé le Tatty Bogle, une cave minuscule qui pouvait accueillir à peine plus de 50 personnes. Ce soir là les Horrors avaient frappé par leur décorum gothique et leur attitude rock’n’roll, aidés en cela par un son garage-punk sale. L’album qui parut la même année confirmait les espoirs placés en ce groupe atypique. Strange House était un album de freaks obsédés par Joe Meek et les Sonics.
Sur leur deuxième album Primary Colours, les Horrors n’ont conservé de leur esthétique que leur visuel gothique très marqué. Le noir est plus que jamais de rigueur mais les coiffures sont moins spectaculaires, le son du groupe a lui évolué vers une musique plus froide, au centre d’un triangle qui unirait longues plages shoegaze, délires krautrock et new-wave glaciale. Cette mutation du son des Horrors a pour origine l’échange d’instruments effectué entre le bassiste Spider Webb et l’organiste Tom Furse qui a créé une nouvelle dynamique dans le groupe. Le fait que Geoff Barrow de Portishead, expert en atmosphères vaporeuses et sombres, se trouvait de l’autre côté de la vitre au moment de l’enregistrement de l’album, n’est pas étranger non plus à cette métamorphose.
Dès l’intro de “Mirror’s Image” on sent un changement de taille, la batterie est plus un beat qu’une véritable rythmique, la basse se veut insistante, le chant de Faris Badwan n’est plus ce hurlement primal de “Sheena Is A Parasite” mais une véritable incantation dans laquelle le chanteur dévoile sa véritable voix. Une mise à nu de la part de Badwan qui a abandonné son pseudonyme de Farris Rotter et qui révèle un timbre envoûtant derrière ses intonations grandiloquentes à la Ian Curtis. Lorsque The Horrors se jettent à corps perdu dans un post-punk ténébreux, l’influence de Joy Division paraît évidente (“Do you Remember”, “Primary Colours”), mais le groupe ne se contente pas de réciter sa leçon comme nombre de ses concurrents.
Primary Colours tourbillonne d’idées et surprend à chaque instant, comme en témoignent le bruit blanc de l’impressionnante “New Ice Age” ou la fascinante épopée kraut de “Sea Within a Sea”, sans doute le morceaux plus ambitieux et le plus décoiffant de l’album. Comment ne pas tomber à la renverse à l’écoute de ce morceau qui convoque la rythmique hypnotique de “Hallogallo” de Neu! et les synthés minimalistes de “Stratosfear” de Tangerine Dream ?
Au sein de cet album atmosphérique, les mélodies marquantes sont nombreuses, comme l’extraordinaire single “We Can Say” qui flirte avec le côté obscur de la new-wave, évoque même par moments les infâmes Killers, mais évite de tomber dans le piège du morceau épique. Là où le premier U2 venu se serait défoncé les amygdales dans un refrain de stade de foot, le groupe désamorce le piège en proposant un passage parlé qui cite “Crying” du groupe sixties Jay and the Americans (“And when I told her / I didn’t love her anymore / She cried (she cried) / And when I told her / Her kisses were not like before / She cried (she cried) / And then I kissed her / A kiss that only meant goodbye »). Un morceau de bravoure incroyable.
Parmi les morceaux marquants de cet album, citons encore “I Only Think Of You”, une marche funèbre à la ligne de basse intrigante dans laquelle Badwan chante avec une voix désincarnée, et surtout ce “I Can’t Control Myself” démentiel, sans aucun doute le morceau shoegaze de l’année. Avec son riff de guitare tournoyant à la Kevin Shields et son ambiance planante, il est à 2009 ce que “Hurricane Heart Attack” fut à 2002, ou “Young Men Dead” à 2006, à savoir un trip psychédélique dont on ne sort pas indemne. Ceux qui raillaient l’esthétique des Horrors il y a trois ans n’en reviendront sans doute pas. Primary Colours est un très grand album, le vrai chef d’œuvre des Horrors.
Tracklisting :
- Mirror’s Image *
- Three Decades
- Who Can Say *
- Do You Remember
- New Ice Age *
- Scarlet Fields
- I Only Think of You
- I Can’t Control Myself *
- Primary Colours
- Sea Within a Sea *
Quelques vidéos :
“Sea Within A Sea”