(Beady Eye Records 2011)
Depuis 15 ans, les fans d’Oasis (qui sont en général des trentenaires ayant grandi avec le groupe et qui gardent une affection teintée de nostalgie pour les frères Gallagher) sont obligés de déployer des trésors de mauvaise foi dès que le sujet des années 90 et de la Britpop revient sur la table. Quand le débat autour d’Oasis est lancé, peu d’arguments plaident en a faveur des frangins. Poses macho, refus du dialogue, mauvais goût assumé et agressivité gratuite demeurent les seules techniques valables pour défendre le groupe. Un moral à toute épreuve et une capacité à ne pas se laisser déstabiliser par les attaques basses et prévisibles des moqueurs sont aussi bienvenus.
Depuis la chute d’Oasis de son piédestal (qu’on situe aux alentours de 1997, lors de la tournée qui suivit la publication de Be Here Now), le fan d’Oasis s’échine donc à défendre le groupe contre vent et marées, tentant en vain de faire comprendre au monde qui l’entoure qu’il y a bien un ou deux trucs à sauver sur ce disque prétentieux et à moitié inaudible que le groupe vend comme le meilleur disque depuis Revolver. Pour un album solide comme Don’t Believe The Truth, Oasis a produit une quantité de morceaux sans intérêt qui rendaient le contraste entre l’attitude des frangins et la qualité de leur productions aussi drôle que pathétique.
Cette mascarade s’est achevée en 2009, par une séparation éclatante comme on s’y attendait, dans un brouhaha médiatique qui a rapidement laissé pace à une indifférence générale envers les membres du groupe. Assez étonnamment, les musiciens sont restés soudés autour de Liam Gallagher et ont formé Beady Eye, soit Oasis sans le cerveau et les soli de guitare, Oasis sans son âme. Il va sans dire que la sortie de cet album est un test, une remise en cause pour les fans. Car il en faudrait de la foi pour écouter cet album sans a priori. De l’aveuglement même (mais n’est-ce pas la même chose ?), parce qu’Oasis avait quelque chose de religieux, d’irrationnel. Poussés par des campagnes de presse habiles et des vieux réflexes indécrottables, on retrouvait toujours un fol espoir à chaque sortie, même si la flamme brûlait toujours un peu moins. On avait le sentiment de s’être encore fait avoir, porté par cet espoir futile de revoir les Gallagher au sommet dans un élan nostalgique pas vraiment contrôlé… mais l’espace d’un instant on y avait cru.
On ne peut pas dire que la sortie du premier album de Beady Eye ait créé un grand sentiment d’excitation au sein du pourcentage de la population susceptible d’avoir quelque chose à foutre de l’avenir de Liam Gallagher. Si Oasis représentaient la bande-son des vertes années d’une partie de la population, Beady Eye ne représentent rien d’autres qu’eux-mêmes, un groupe de musiciens tentant de s’accrocher aux branches après le crash de leur précédent projet. C’est donc avec une certaine indifférence et la certitude qu’on n’allait pas tomber de sa chaise de surprise qu’on a écouté cet album. Qui, en dehors du label qui compte les dollars, pouvait attendre quoi que ce soit de ce disque ?
Comme prévu Different Gear, Still Speeding est un album compétent – les musiciens ne sont pas n’importe qui –, et qui plus est Liam est plutôt en forme. Sa voix, si souvent râpeuse et erratique sur les derniers albums d’Oasis (et pire encore lors de leurs concerts), sonne ici plus juvénile et puissante que jamais. A-t-il arrêté la clope ? A-t-il été auto-tuné ? On l’ignore mais le retour de la voix de Liam est la chose la plus agréable et étonnante de cet album.
Pour le reste, on a droit aux quelques ballades lennoniennes qu’on avait anticipé (“The Roller”, copier-coller d'”Instant Karma”, “Kill For A Dream” et son mellotron de service, “The Beat Goes On”), et quelques titres dignes d’Oasis dans leur forme (gros refrain un peu poussif, mur de guitares), comme l’ouverture grandiloquente “Four Letter Word”, “Three Ring Circus” ou “Wind Up Dream”. La véritable personnalité de Beady Eye – autrement dit l’absence d’influence de Noel Gallagher – ne ressort ainsi que dans la moitié des morceaux de l’album. L’exemple le plus marquant est le single “Bring The Light”, au piano boogie qui évoque “Let’s Spend The Night Together” des Rolling Stones, et qui ouvre à Beady Eye des chemins nettement plus rock’n’roll qu’Oasis ne le permettait. Cette envie de mettre du groove, de sortir du son monolithique de jadis, se retrouve dans d’autres morceaux de l’album (“Beatles And Stones”, “Standing On The Edge Of Noise”) mais malheureusement, aucun d’entre eux n’est véritablement mémorable.
Pire, le groupe s’égare vraiment dans quelques morceaux indigents comme “Wigwam” au sha-la-la-la navrants et oublie parfois d’écrire des mélodies, comme sur ce “Wind Up Dream”. Quelques prises de risques méritent néanmoins qu’on les salue, comme ce “Millionaire” à la forme country-rock amusante (mais vite oubliée) ou “For Anyone”, une ballade mélodique un peu gnangnan qui, à l’image de l’album, peine à décoller. C’est bien foutu, interprété avec talent, mais cela vaut-il vraiment le détour ?
La seule chose que Beady Eye réussit à prouver ici, c’est qu’il n’est pas un sous-Oasis mais plutôt un groupe aux aspirations différentes. Ce sont les mêmes musiciens, mais ils sont libérés du joug de leur ancien leader et jouent une musique plus variée, ouverte à des horizons plus rock’n’roll. On a souvent reproché à Oasis un certain conservatisme. Cette exploration de territoires nouveaux aurait pu être la démonstration que Noel se trompait en ressassant la même formule d’un album à l’autre avec plus ou moins de succès. Pourtant à l’écoute de ce Different Gear, Still Speeding vite oublié, on en vient souvent à regretter l’absence de grands morceaux. Sans l’émulation de son grand frère, Liam ne produit rien ici qui arrive à la cheville de “Songbird” ou “Born On A Different Cloud”, deux morceaux qui lui avaient donné de la crédibilité en tant que compositeur. Il apparaît très vite que Beady Eye est une belle machine mais elle tourne un peu à vide. On a beau chercher, il n’y pas ici de quoi ranimer la flamme des fans déçus de la séparation d’Oasis. L’album, tout comme le groupe sans doute, n’a rien d’indispensable, il faudra du temps à Liam Gallagher de se défaire de l’ombre d’Oasis s’il persiste dans cette voie.
Tracklisting :
1. Four Letter Word *
2. Millionaire
3. The Roller
4. Beatles and Stones
5. Wind Up Dream
6. Bring the Light *
7. For Anyone
8. Kill for a Dream
9. Standing on the Edge of the Noise
10. Wigwam
11. Three Ring Circus
12. The Beat Goes On
13. The Morning Son
Le site officiel du groupe : www.beadyeyemusic.com
L’album est en écoute sur Deezer.
Vidéos :
“Four Letter Word”
“Bring The Light”
“The Roller”